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qu’un seul, — quoique vos vains poètes se soient ensuite trompés — en faisant un dieu de chaque attribut. » Apollonius se gratte un peu l’oreille, et finit par répondre qu’il y a de grandes vérités et de bonnes règles morales dans le paganisme. La pieuse logicienne lui répond aussitôt : « Alors que toute la dispute se réduise — à comparer ces règles et le christianisme ! » Désarçonné, Apollonius se convertit à l’instant même, injurie le prince, qui, trouvant sainte Catherine fort belle, se sent amoureux tout d’un coup et fait des calembours : « Absent, je puis ordonner son martyre ; — mais un regard de plus, et le martyr sera moi. »

Dans cet embarras, il envoie un grand-officier pour déclarer son amour à sainte Catherine ; le grand-officier cite et loue les dieux d’Épicure : à l’instant, la sainte établit la doctrine des causes finales, qui renverse celle des atomes. Maximin arrive lui-même et lui dit « que si elle continue à repousser sa flamme, il la fera périr dans d’autres flammes. » Là-dessus elle le tutoie, le brave, l’appelle esclave et s’en va. Touché de ces procédés, il veut l’épouser légitimement, et pour cela répudie sa femme. Cependant, afin de n’omettre aucun expédient, il emploie un magicien qui fait des conjurations (sur le théâtre), évoque les esprits infernaux, et amène une ronde de petits amours : ceux-ci dansent et chantent des chansons voluptueuses autour du lit de sainte Catherine. Son ange gardien survient et les chasse. Pour dernière ressource, Maximin fait mettre une roue sur le théâtre pour y exposer sainte Catherine et sa mère. Au moment où l’on déshabille la sainte, un ange pudique descend fort à propos et casse la roue ; après quoi, on les emmène et on leur coupe le cou dans la coulisse. Joignez à ces belles inventions une double intrigue, l’amour de Valéria, fille de Maximin, pour Porphyrius, général des prétoriens, celui de Porphyrius pour Bérénice, femme de Maximin, puis une catastrophe subite, trois morts, et le règne des honnêtes gens qui s’épousent et se disent des politesses. Telle est cette tragédie, qui se dit française, et la plupart des autres sont semblables. Dans la Reine vierge, dans le Mariage à la mode, dans Aurenazèbe, dans l’Empereur indien, et surtout dans la Conquête de Grenade, tout est extravagant. On se taille en pièces, on prend des villes, on se poignarde, et on déclame de tout son gosier. Ces drames ont justement la vérité et le naturel d’un libretto d’opéra. Les incantations y abondent; un esprit apparaît dans Montezuma et déclare que les dieux indiens s’en vont. Les ballets s’y trouvent ; Vasquez et Pizarre, assis dans une jolie grotte, regardent en conquérans les danses des Indiennes, qui folâtrent voluptueusement autour d’eux. Les scènes de Lulli n’y manquent pas. Alméria, comme Armide, arrive pour tuer Cortez endormi, et tout d’un coup se prend d’amour