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rencontrent avec le troupeau des bêtes à cornes. L’âne se couche et s’endort. Les grands animaux bossus y passent de longues heures dans des méditations de derviche. Le berger est un jeune Arabe habillé de blanc, beau de visage, et dont la chachia brille de loin parmi les cactus, comme une fleur singulière de couleur écarlate.

Au surplus, tout me charme dans ce pays, je n’ai pas à te l’apprendre. La saison est magnifique ; l’étonnante beauté du ciel embellirait même un pays sans grâce. L’été continue, quoique nous soyons en novembre. L’humidité de la nuit rafraîchit la terre en attendant la pluie, que rien ne fait prévoir. L’année s’achèvera sans tristesse ; l’hiver viendra sans qu’on s’en aperçoive et qu’on le redoute. Pourquoi la vie humaine ne finit-elle pas comme les automnes d’Afrique, par un ciel clair, avec des vents tièdes, sans décrépitude ni pressentimens ?


8 novembre.

Mon voisinage est des plus singuliers, et peut faire imaginer de quoi se compose une colonie qui naît. De toutes les maisons qui m’entourent, il n’y en a pas deux qui se ressemblent, ni dont les habitans soient de même race. On y parle à peu près toutes les langues, et je crois qu’on y pourrait trouver tous les degrés à peu près de l’aisance et de la misère. Les industries y sont incompréhensibles, les habitudes équivoques ; les existences y prennent la forme d’un mystère.

Mais de toutes ces demeures bizarres, la plus étrange est sans contredit une petite maison d’aspect funeste, dévastée, horriblement malpropre et située à quelques pas de la mienne. Elle est occupée par une légion d’oiseaux de basse-cour, poulets, pigeons, pintades, jusqu’à des oies. Le matin, toute cette famille emplumée s’échappe à la fois par toutes les issues, portes et fenêtres. Les plus agiles se précipitent de l’étage en volant. La journée finie, chacun revient au gîte, et le soleil n’est pas couché que la dernière poule a regagné son perchoir. Quelquefois cependant un homme paraît au seuil de la maison ; il siffle pour appeler les oiseaux dispersés, et jette, en faisant un cercle avec le bras, des poignées de grains dans la prairie. Avec des yeux bleus, des cheveux blonds, il conserve, malgré le hâle, le teint rosé d’un homme à peau blanche. Il est vêtu de toile et coiffé d’une casquette sans bords ; il fume à grosses bouffées dans une pipe allemande. Mon domestique, qui ne connaît de lui que son prénom, m’apprend qu’il est Polonais, et que depuis plusieurs années il habite cette volière. Tous les jours, à la même heure, je l’aperçois qui rentre en compagnie de gens inconnus dans le voisinage, mis pauvrement et parlant très bas. Une douce odeur