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À ce moment arrivait de la plaine, et dans la direction de Blidah, une petite cavalcade composée de deux mulets, montés chacun par une femme en costume de ville et abondamment enveloppée de voiles. Un nègre les précédait, assis de côté sur un âne ; une négresse à pied les accompagnait.

— Voici Assra et le nègre Saïd, dit Vandell, qui reconnut à cette distance la servante d’Haoùa et son mari.

— En ce cas, lui dis-je, il est aisé de présumer quelles sont les deux cavalières.

Elles entrèrent dans, le camp, mais ne descendirent point à la demeure des femmes : on leur fit traverser la foule entière, et je ne sais quel ordonnateur de la fête les conduisit droit à une petite tente dressée à l’écart, dans laquelle il y avait des tapis, des coussins, et qui semblait en effet préparée pour un hôte attendu qui devait l’occuper seul. Personne au reste ne prit garde à leur arrivée ; j’entendis vaguement dire autour de moi que c’étaient les danseuses.

À peine assises, l’une d’elles ôta son voile, et la belle Aïchouna se laissa voir dans la tenue légère et transparente qu’elle aime et qui lui va si bien. L’autre ne fit qu’entr’ouvrir sa guimpe juste assez pour qu’on la reconnût, pour montrer qii’elle était fort bien mise, et qu’elle avait au cou, outre ses colliers et ses parures, douze aunes au moins de chapelets fleuris.

— Tu aurais mieux fait de rester chez toi, lui dit Vandell.

Haoûa fit sans répondre un geste indiflerent qui signifiait que toute chose lui était à peu près égale, qu’elle n’avait pas eu de raison précise pour venir ici, qu’elle n’en avait pas non plus pour s’y déplaire, et je la vis sourire, du sourire inexprimable qui faisait sa grâce et sa froideur, au triste hasard qui déjà semblait avoir disposé d’elle.

Le kaïd ne s’approcha point de la tente, non plus qu’aucun des vieillards ni des hommes sérieux. Un grand vide était formé tout autour, moins par discrétion que par dédain. On y remarquait seulement, rôdant à quelques pas de la porte soulevée, des jeunes gens de seize à vingt ans, aux airs indolens, à la tournure galante, au visage amaigri, blanchâtre et fané, les yeux noircis, la coiffure un peu de côté : ils souriaient à la brillante Aïchouna, qui paraissait connue de tous, et regardaient, — c’était leur droit, — mais avec un certain embarras mêlé d’impertinence, la petite étrangère au maintien sérieux que pas un d’entre eux ne paraissait connaître.

— Est-ce qu’elles vont rester là, demandai-je à Vandell, loin des femmes, comme des baladines et des filles de parias, exposées même en plein jour à la curiosité d’une troupe de soldats et sous les regards insolens de ces beaux fils qui les déshonorent ?