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du drapeau et se plaça, d’après l’usage, entre le kaïd et les musiciens. Deux cavaliers, le fusil droit, formaient l’ avant-garde. J’imaginai que cet appareil, bien superflu, n’avait pas d’autre but que de nous faire honneur, et nous achevâmes, au son continu des tambourins, des hautbois et des fifres, au pas mesuré des processions, la petite lieue qui nous séparait du rendez-vous où se donnait la fête.

C’était à peu de distance des douars, dans un terrain vague, peu broussailleux, choisi tout exprès pour que la course y fût facile. On y avait établi d’un côté des tentes ouvertes (tentes d’hospitalité à l’intention de ceux qui voudraient y dormir), et de l’autre une grande tente en laine sombre, vaste comme une maison, entièrement close, excepté par un seul endroit, celui qui regardait l’horizon vide. La paroi qui faisait face au champ de course était abattue jusqu’à terre ; seulement, comme l’étoffe était vieillie et criblée de trous, les femmes, réunies d’avance, avaient beaucoup plus de fenêtres qu’il n’en fallait pour bien voir, mais n’en avaient pas d’assez larges pour qu’on les vît. Une troupe d’enfans s’ébattait aux alentours comme des poussins sur la limite d’un poulailler ; deux ou trois chiens de bonne garde surveillaient les approches.

Précisément en face du pavillon des femmes, au-dessus duquel flottait un petit drapeau rouge, était planté l’étendard de soie du kaïd. Ces deux bannières mesuraient la largeur de l’hippodrome, qui s’étendait indéfiniment dans la longueur ; elles déterminaient le point d’arrivée des coureurs, c’est-à-dire le but où les chevaux bien menés devaient s’arrêter court, où les fusils devaient tirer, les saluts de la poudre s’adressant de droit au kaïd d’abord, et puis aux femmes.

Il était quatre heures. Les préparatifs semblaient terminés. La diffa cuisait dans la tente fermée, où de confuses rumeurs se faisaient entendre et d’où s’échappait, comme à travers des soupiraux de cuisine, une forte odeur de ragoûts mêlée à des fumées de bois vert. La mesure lente et monotone d’une danse nationale (diminutif un peu plus décent de la danse égyptienne de l’abeille) était marquée par des chants rhythmés et des battemens de mains, et les explosions d’une joie immodérée couvraient par intervalles le cri des poulets égorgés qui se débattaient sous le couteau des servantes. Tout ce que le territoire hadjout pouvait fournir de cavaliers valides était réuni : une ligne épaisse de deux cents chevaux environ fermait au sud l’extrémité du champ de course. Le bivouac se remplissait de gens en tenue de guerre, allant et venant dans l’herbe, avec cette marche incertaine que donnent aux cavaliers arabes le Volume et le poids des doubles bottes, et surtout l’embarras des longs éperons traînans.