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Blidah, fin d’octobre.

Meux jours après notre retour du lac, nous reprenions, Vandell et moi, le chemin de la plaine. C’était un samedi, jour du sebt ou grand marché des Hadjout ; il y avait fête à l’issue du marché, et nous avions reçu du kaïd lui-même un billet cérémonieux qui nous invitait à la diffa du soir.

La fête était une sorte de réunion cantonale organisée par plusieurs douars voisins dans l’intention de se divertir à frais communs, de monter à cheval, de courir, de brûler de la poudre, derniers plaisirs qui restent à cette petite peuplade aux trois quarts détruite, à qui les réelles émotions de la vie militaire sont interdites, et que la paix ennuie comme le néant. Les Hadjout n’ont jamais aimé ni pratiqué quoi que ce soit, excepté les industries de la guerre. On se faisait Hadjout comme on se fait soldat. Quant aux femmes, épouses ou mères, lilles ou sœurs de soldat, seller des chevaux qui vont combattre, armer de leurs propres mains des hommes intrépides, les assister de loin, les accueillir par des you-you d’enthousiasme, pleurer les morts et panser des blessures bien reçues, tel était le plaisir martial qui leur revenait dans une existence aventureuse dont la guerre, sous toutes ses formes, petites ou grandes, faisait le fond, le mobile, les charmes et le profit. Voilà pourquoi une fantasia, qui ne vaut pas la guerre, mais qui lui ressemble, est aujourd’hui le spectacle le plus propre à consoler des vétérans qui ne la font plus, ou des jeunes gens qui ne l’ont jamais faite.

— Vous ne trouverez là-bas, m’avait dit Yandell, rien que vous ne connaissiez de longue date : des gens assemblés sous des tentes, une fête équestre, suivie d’une danse de nuit, avec des repas homériques, qui sont la réjouissance obligée de l’estomac ; mais c’est une politesse due au kaïd, qui nous attend. Peut-être au surplus nous amuserons-nous, car j’ai beaucoup d’amis chez les Hadjout, à commencer par ce gueux d’Amar-ben-Arif, qui fera devant vous ses tours de force de jongleur et d’écuyer.

Amar-ben-Arif devait être en effet, mon ami, le héros de la journée, et beaucoup plus sérieusement que Vandell ne l’avait prévu, car il nous ménageait la surprise d’un exploit tragique et d’un deuil navrant.

À midi, nous arrivions au marché, où nous savions trouver le kaïd : c’était lui faire doublement honneur que de nous rendre à son audience du sebt et de venir le saluer dans sa tente. Le sebt se tient au fond de la plaine, sur le territoire hadjout, dans la grande lande qui s’étend entre la Mouzaïa et le lac. Comme son nom l’indique, il a lieu le septième jour de la semaine, sous la présidence