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satisfactions très vives, l’adresse du coup d’œil et la promptitude. Rien là-bas n’est à ménager, ni le terrain, qui n’appartient à personne, ni le gibier, très abondant. Chacun est libre de charger à fond de train, comme en pays ennemi ; le bat est de tuer beaucoup. C’est un exercice qu’on apprend en faisant la guerre. Voilà pourquoi tous les officiers aiment la chasse et la pratiquent bien, de même que tout bon coureur de lièvres et de perdreaux est de droit un excellent soldat d’Afrique. Dans les deux cas, la gymnastique est la même, et pour une âme un peu vigoureuse la chasse, assure-t-on, vaudrait la guerre, s’il ne lui manquait un plaisir que rien ne remplace, l’égalité dans la lutte et le charme incomparable du danger. — Je vous préviens de tout cela, ajouta Vandell, pour que vous sachiez ce que vous aurez à faire demain, si vous entendez y mettre de l’ amourpropre, ou si modestement vous devez suivre la course en spectateur. Quant à moi, je prendrai ma jument. — La jument blanche de Vandell est, selon lui, la seule monture sur laquelle il ait pu réfléchir à l’aise.

Je suivrai la course comme je pourrai, mon ami, mon unique désir étant de voir le lac, et tu sais pourquoi. Le lac est du petit nombre des curiosités que je me connaisse, et dont je m’accuse comme d’une inconséquence. Nous avions autrefois projeté ce petit voyage sans jamais l’accomplir ; c’est bien le moins, puisque l’occasion m’en est offerte, que j’aille éclaircir ou vérifier des imaginations qui nous étaient communes. J’y vais donc comme en pèlerinage, et pour saluer de plus près cet inconnu avec la dévotion qu’on doit à l’objet de ses anciens rêves. C’est peu de chose ; mais, toute imagination mise à part, il est bon de remplacer un point d’interrogation par un fait, surtout quand ce point d’interrogation, fixe depuis des années, vous sollicite incessamment par un : Qu’y a-t-il là-bas ?

Il y a là-bas, je m’en doute, ce qu’il y a partout, ce qu’on rencontre au bout de son chemin après chaque étape un peu longue, — le jeune enthousiasme des années révolues couché par terre, et si malade, hélas ! qu’il est presque mort.

Fera-t-il beau demain ? Voilà ce qui nous occupe. Depuis cinq jours, le vent du sud souffle avec furie. C’est l’adieu brûlant de l’été caniculaire, qui finit avec septembre, le mouvement orageux de l’équinoxe et le signal de la saison belle et tempérée où nous entrons, et qu’on appelle ici le second été. Je t’ai parlé ailleurs de ce vent funeste : il est très beau à voir, et très excitant pour l’esprit, quand le corps n’en est pas trop abattu. Les Blidiens le maudissent ; ils en souffrent, ils s’en préservent comme ils peuvent, en restant chez eux, en bouchant les fenêtres, en ne respirant plus. La