Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doucement frissonner les orangers du voisinage ; l’air est tiède, la matinée tranquille. Suis-je encore au Sahara ? C’est une illusion de tous les matins qui dure un moment, juste le temps de reconnaître où je suis, et de m’apercevoir que je n’ai plus de moustiquaire étendu sur moi comme un linceul, que je respire à l’aise, et que le bourdonnement des mouches a cessé : après quoi, je me retrouve ici dans un autre monde. Je m’éveille avec sécurité, je cherche, au milieu de sensations toutes paisibles, la secrète angoisse et le sentiment d’un danger possible. La vie est commode, le climat salubre, la saison clémente. Alors j’éprouve un regret bizarre, et je regarde avec indifférence se dérouler des jours qui n’ont plus rien de redoutable.

C’est ainsi que s’ouvrent mes journées, par des bruits, par des lueurs, par des formes entrevues, par le rayonnement grisâtre de l’aurore à travers ma fenêtre ouverte, par un salut donné du fond de l’âme à chaque chose qui s’éveille en même temps que moi. Ce n’est pas ma faute si la nature envahit à ce point tout ce que j’écris. Je lui donne ici tout au plus la part qu’elle a dans ma propre vie. Agir au milieu de sensations vives, produire en ne cessant pas d’être en correspondance avec ce qui nous entoure, servir de miroir aux choses extérieures, mais volontairement, et sans leur être assujetti ; faire enfin de sa propre destinée ce que les poètes font de leurs poèmes, c’est-à-dire enfermer une action forte dans des rêveries ; modifier l’homo sum de Térence, et dire : « Rien de ce qui est divin ne m’est étranger, » voilà, mon ami, qui ne serait ni trop, ni trop peu ; voilà qui serait vivre.

Je lisais aujourd’hui même un livre publié sur Alger vers 1830, et j’y trouvais un détail inattendu, qui, tout insignifiant qu’il est, m’a cependant frappé. Ce livre est l’Esquisse de l’État d’Alger du consul américain W. Shaler. C’est le plus précis, le plus fidèle et le mieux renseigné qu’on ait écrit sur la situation du gouvernement algérien à l’époque très curieuse où ce gouvernement de flibustiers s’introduisit ou plutôt fut introduit dans les démêlés de la politique européenne, et passa du brigandage à la diplomatie. L’auteur, qui séjournait dans la régence depuis 1815, qui avait vu le règne d’Omar, et qui recevait les confidences du dey Hussein, terminait son livre en 1825, au moment même où la guerre était sur le point de renaître avec l’Angleterre. Les événemens devenaient graves, une escadre anglaise bloquait la ville, et la menaçait d’un nouveau bombardement. Shaler assistait alors de sa maison consulaire à tous ces préparatifs de guerre, surveillant tout ce qui se passait, dans la rade, notant exactement le mouvement du port, l’arrivée des navires, leur nombre, leur force, leurs dispositions, indiquant