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de son pays intéresse. Et comme je lui donnais l’assurance qu’El-Aghouat allait devenir entre nos mains un poste-frontière solide et parfaitement gardé, que le pays était sain, habitable, et qu’après l’avoir pris malgré les Arabes, nous saurions bien le conserver en dépit du climat, il se contenta de sourire et répondit avec une impertinence exquise : — De fort grands personnages ont été suffoqués par une mouche. — Et aussitôt il prit congé de nous.

— Ce diable d’homme combat à la manière des Parthes, dis-je en le voyant brusquement s’éloigner.

— Oui, dit Vandell, en lançant des proverbes. C’est dommage qu’il ait tourné le dos si vite, j’en avais dix à lui renvoyer.

Maintenant que j’ai vu l’été chez lui, dans son royaume, il n’a plus rien à m’apprendre, et je n’attends aucune émotion nouvelle d’un climat relativement variable, où le soleil a, comme les oiseaux de passage, des saisons pour paraître et pour émigrer. Il fait très beau, mais ce n’est pas le même beau que dans le sud ; très chaud, mais la chaleur est plus molle que jamais ; très sec, mais cette sécheresse n’est pas comparable à l’aridité menaçante, et aussi vieille que le monde, qui garde les barrières du Sahara. On voit encore ici des ruisseaux qui coulent, un lac qui fume le soir, des marais qui s’évaporent ; les horizons sont chargés, le ciel est d’un bleu de velours, il n’est plus d’airain. D’ailleurs les récoltes sont finies ; herbages et cultures, tout est rentré, la plaine est nue, septembre approche ; dès aujourd’hui l’automne peut venir.

Je mets en ordre mon journal et mes dessins de route, un peu tristement, car la comparaison de ce que j’ai vu là-bas fait paraître médiocre tout ce qui n’est pas très beau, et petit tout ce qui n’est plus vide. Blidah est une sorte de Normandie numide qu’il est bon de visiter en arrivant d’Europe, mais où l’on a tort de s’arrêter quand on revient du sud, parce qu’on retombe alors du grand au joli. Il n’y a pas de verger, fût-il africain, qui vaille une oasis, et le désert fait tort aux plus grandes plaines.

Le jour se lève entre quatre et cinq heures. Involontairement je m’éveille aussitôt qu’il conmience à poindre, dernière habitude apportée d’un pays où le sommeil n’a plus d’heures, et où jamais l’on ne dort tout à fait. Ma chambre se remplit confusément de lueurs blanchissantes et de bruits vagues. Je vois l’aube qui s’épanouit par-dessus la ligne verte d’un horizon boisé. J’écoute : voici la diane, un air qui m’a fait battre le cœur pendant deux mois, un air sans pareil, quand on l’associe dans sa mémoire à des sensations poignantes et uniques. Des chevaux hennissent, des chameaux brament ; j’entends passer sous ma fenêtre des gens qui vont pieds nus et marchent d’un pas mou ; la brise errante qui précède le soleil fait