Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

primer la distance indéterminée d’un immense parcours, et me dit :

— Regarde, voilà le Sahara, — comme si rien au monde n’était plus beau pour le regard d’un homme que le vide indéfini d’un horizon plat.

— Bonsoir. Salut sur tous ! leur dis-je.

— Sur toi le salut ! répondit l’Aghouati.

Et j’achevai ma promenade.

Avant de rentrer, j’allai m’asseoir au café de Bou-Djima. C’est un petit café champêtre situé hors de la ville, parmi des arbres, presque au milieu des orangers, et tout entouré de ruisseaux comme un îlot. Il n’y avait personne. Bou-Djima dormait à côté de ses fourneaux, au-dessous de sa lanterne quasi éteinte. Je ne le réveillai point, et m’assis devant la porte. De distance en distance, on voyait paraître et disparaître des points de lumière dans la montagne, et de loin en loin des chiens aboyaient ; puis je regardai le ciel, où brillaient toutes les constellations de l’été. Le souvenir des Sahariens, au lieu de s’affaiblir, ne me quitta plus, et je me mis sans le vouloir à voyager. Or, quand je voyage, soit en réalité, soit en rêve, c’est toujours dans la même direction, le cap au sud.

Il est minuit. Je ne résous rien, mais il est possible que je me lève demain comme Yandell s’est éveillé hier, avec la décision subite de me mettre en route.


Blidah, août.

Je reviens du sud, après avoir fait ce que j’appellerai, ambitieusement peut-être, un curieux voyage. Ce voyage est noté, presque jour par jour et étape par étape, dans un journal qui reste indépendant de celui-ci[1]. Mon journal saharien s’arrête à El-Aghouat, et sur un cri d’homme altéré par trois mois à peu près de soif continue. Je suis revenu vaincu, je puis le dire, par cette soif mortelle, et poussé vers le nord par je ne sais quel désir déraisonnable de voir de l’eau fraîche, d’en boire et de m’y plonger.

J’ai fait en moins de six jours la route qui nous en avait demandé dix en allant. J’ai voyagé sans débrider ni dormir, marchant de jour, marchant de nuit, ne faisant plus de grandes haltes et ne bivouaquant jamais plus de quelques heures, trouvant les sources taries, de la boue liquide au lieu d’eau, ou, ce qui est pis encore, des résidus d’écume verdâtre, éreintant mon cheval, épuisé moi-même, mais soutenu jusqu’au bout par cette certitude de renaître en arrivant. J’ai cessé de noter la température en quittant El-Aghouat. Ce dont je me souviens, c’est que le thermomètre mar-

  1. Un Été dans le Sahara, 1857.