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qui termine cette publication, contient des pages inédites où l’auteur a mis toute une part de lui-même. Sous ce titre : Histoire de mes idées, M. Quinet raconte les impressions de son enfance et de sa première jeunesse. Une œuvre nouvelle de M. Quinet a toujours le privilège d’éveiller l’attention des intelligences élevées; celle-ci présente un double attrait, puisqu’elle nous initie à l’éducation morale d’un homme qui a pris une part active au mouvement philosophique et religieux de notre siècle. Cette simple histoire, où l’art de l’écrivain n’enlève rien à l’ingénuité des confidences, peut être rangée au nombre des plus intéressantes productions de l’auteur. Ce sont bien des mémoires sincères, en même temps que c’est un travail d’artiste. De graves problèmes sont ingénieusement dissimulés sous la sobriété du récit et le charme familier des détails. L’histoire est d’un enfant, mais c’est un homme qui la raconte. « Avant d’entrer dans ces intimités, dit M. Quinet, je m’interroge encore une fois; je me demande s’il est bon, s’il est convenable de donner son secret, comme je le fais dans ces pages. Je me réponds sans doute avec trop de complaisance que cette appréhension serait naturelle, si je composais de ces souvenirs un livre destiné à affronter le grand jour; mais relégué à la fin de mes œuvres, il me semble que je parle chez moi, incognito, porte close, sans avoir à craindre aucune indiscrétion. » Cette sécurité, que M. Quinet s’est préparée ainsi, il en profite avec une parfaite mesure. Dans ce tableau des premières impressions de son âme, il n’y a ni complaisance ni contrainte ; l’auteur sait ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire, dicenda tacendaque callet. On remarquera surtout trois influences très diverses dans les vingt premières années de la vie du poète, le souvenir de la vie militaire aux bords du Rhin, les enchantemens de la nature au sein d’une solitude agreste, et l’éducation librement religieuse donnée par une mère protestante à un enfant catholique. Vous voyez se former ici une à une les inspirations qui entraîneront plus tard l’auteur de Napoléon et de Prométhée. Le poète, le publiciste, le penseur, sont annoncés déjà dans ces émotions juvéniles :

Qui viret in folüs, viget in radicibus humor.


On ne lira pas sans profit l’histoire de la légende napoléonienne chez une âme de quinze ans. M. Quinet, en exposant les contradictions naïves de son intelligence au sujet de l’empereur, trace l’histoire de l’élite généreuse du XIXe siècle. L’éducation religieuse de celui qui écrira un jour le Génie des Religions, l’éducation poétique du futur poète d’Ahasvérus, le tableau d’un collège sous l’empire, les révoltes de l’enfant contre les influences extérieures et même contre les visions de son cœur et de son esprit, ses efforts pour reprendre possession de soi-même, ce sont là autant de peintures qui provoquent la méditation. Si M. Quinet fut souvent vainqueur dans ces luttes, il est bien forcé aujourd’hui de reconnaître qu’il succomba plus d’une fois. Au moment même où il se débarrassait de la fascination de la gloire pour embrasser l’idéal de la justice et de la liberté, il lui arriva de subir la fascination de la nature, et de compromettre dans les enivremens du panthéisme l’indépendance qu’il venait de conquérir. Un des épisodes les plus caractéristiques de ce récit, c’est l’action exercée sur le jeune rêveur par les soli-