Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même les constitutions octroyées, même les constitutions écrites et qu’on peut mettre dans sa poche, peuvent encore de nos jours servir à quelque chose. Le prince de Prusse a loyalement inauguré sa régence par un changement de ministère qui assure un changement de système. Nous serions fâchés de commettre une injustice envers le chef du ministère tombé; mais la chute de son système est un bonheur pour la Prusse. On a pu avoir récemment une idée des pratiques mesquines et basses par lesquelles le cabinet déchu compromettait la dignité du gouvernement et le sens moral du pays. Nous ne faisons point seulement allusion aux entraves et aux tracasseries suscitées aux organes de l’opinion : nous voulons parler de cet espionnage de police dont les pratiques viennent d’être révélées dans un mémoire d’un ancien fonctionnaire important, M. Seiffart, qui fut compromis, il y a trois ans, dans le vol des lettres du chef de cabinet du roi, M. Niebuhr, et du général de Gerlach. Il est impossible de lire ce document sans dégoût et de ne pas gémir sur la dégradation que de telles pratiques infligent au caractère des hommes publics. Les noms seuls dont se compose le nouveau cabinet nous semblent déjà éclaircir et purifier l’atmosphère politique de Berlin. Le choix du nouveau président du conseil, le prince de Hohenzollern, indique, ce nous semble, le prix que le prince de Prusse attache à élever son cabinet dans l’estime de l’Europe. Le prince de Hohenzollern n’est pas seulement allié à la famille régnante de Prusse et beau-père du jeune roi de Portugal, c’est un général renommé pour ses connaissances militaires, un homme politique auquel l’opinion prête des vues éclairées et pénétrantes. Il appartient au culte catholique, et sa présence à la tête du ministère est une garantie du libéralisme que le gouvernement nouveau apportera dans les affaires religieuses. M. de Schleinitz et le général de Bonin ont déjà été ministres et ont marqué dans l’histoire contemporaine. On se rappelle notamment la disgrâce du général de Bonin pendant la guerre d’Orient. Le roi ne lui pardonna point d’avoir discuté devant une commission de la chambre les éventualités de la campagne que la Prusse pourrait avoir à faire contre la Russie dans l’hypothèse où elle aurait rempli ses engagemens envers les puissances occidentales. M. de Patow, le ministre des finances, est un libéral décidé, qui, nous l’espérons, réalisera l’égalisation de l’impôt, si vivement combattue par les féodaux, mais réclamée avec justice par les classes industrielles et commerçantes, et nécessaire aux progrès financiers de la Prusse. La liberté commerciale peut compter également sur l’intelligence et le bon vouloir de M. de Patow. Le ministre de l’instruction publique, M. Bethmann-Holweg, chef du centre gauche, appartient à cette élite d’hommes distingués qui aspirent à rapprocher autant que possible les institutions prussiennes des institutions anglaises. Le baron Bunsen, une des plus pures renommées politiques de l’Europe, et qui, dans sa retraite de Heidelberg, consacrait à la défense des principes de la liberté religieuse et à de nobles travaux d’érudition les loisirs de sa disgrâce politique, a été appelé aussi par le régent. Consulté sur la formation du ministère, il aurait, dit-on, refusé un portefeuille, préférant un siège indépendant dans la chambre haute. En somme, le ministère du régent aura en Prusse et en Europe un éclat que ne possédait plus depuis longtemps la cour de Berlin. Les élections qui s’accomplissent en ce moment apporteront à cette administration nouvelle une