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l’invasion; mais n’eût-il pas mieux valu n’avoir pas à l’en défendre? Même après le règne de la terreur, quand un ordre relatif se rétablit dans le gouvernement, l’agriculture a peine à se relever. Les documens du temps s’accordent à dire que le prix de toutes les propriétés rurales, écrasé par les difficultés de la culture non moins que par la concurrence des biens nationaux, était tombé de 50 pour 100 en 1795 et 1796. Le principal embarras des financiers révolutionnaires est de trouver des acquéreurs pour les biens nationaux, à quelque prix que ce soit. La première passion satisfaite, on n’en veut plus, ce qui force le gouvernement à recourir aux emprunts forcés et à faire argent sans relâche avec la planche aux assignats.

Les quatre années du consulat amenèrent une trêve dont profita l’agriculture. La paix rétablie sur terre et sur mer par les traités de Lunéville et d’Amiens, l’ordre revenu à l’intérieur, les principes de 1789 invoqués de nouveau, tout contribuait à ranimer le travail. Le seul ministre qui ait fait quelque bien, de 1789 à 1815, à l’agriculture et à l’industrie, Chaptal, est entré au ministère au commencement de 1801 et en est sorti à la fin de 180Zi; mais quatre ans, c’est bien court pour un peuple. La proclamation de l’empire ajourna de nouveau la plupart des conséquences économiques et politiques de 1789. Une lutte gigantesque recommença, glorieuse pour nous pendant cinq ans, désastreuse pendant cinq autres; un second million de Français au moins paya de sa vie ce nouveau défi. Pendant qu’ils arrosaient de leur sang la terre étrangère, leurs sueurs ne fécondaient pas le sol natal. Les intempéries furent sans doute pour beaucoup dans les disettes qui affligèrent les dernières années de l’empire et les premières de la restauration; mais il est probable que le défaut de bras et de capitaux, en 1812, 1813, 1814 et 1815, n’y fut pas étranger. Comme au temps de la convention, toutes les forces du pays se concentraient dans un suprême effort. On avait du moins réussi, sous la république, à expulser les étrangers du territoire; on fut moins heureux sous l’empire, et les désastres de deux invasions vinrent mettre le comble à nos malheurs.

Aux fureurs de la guerre se joignaient toujours les mauvais effets de l’ignorance économique. Les lois du maximum furent renouvelées par un décret de mai 1812, qui défendait de faire du blé un objet de spéculation et le taxait à 33 francs l’hectolitre. Il en résulta naturellement, comme en 1793, l’aggravation de la disette. Un autre monument de cette ignorance, qui eut des conséquences moins graves, mais qui n’est pas moins caractéristique, est le décret du 8 mars 1811 pour l’amélioration des bêtes à laine. Il était interdit par ce décret à tout propriétaire d’un troupeau mérinos de faire châtrer aucun bélier sans l’autorisation d’un inspecteur, et il était ordonné à tout