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la noblesse et de la cour. Ses prélats les plus éminens[1] comme ses plus modestes curés ont pris une part active aux premières délibérations de l’assemblée et aux résolutions du 4 août. Un prêtre français ultramontain était alors aussi rare que peut l’être aujourd’hui un gallican. En séparant, par une série de persécutions, les deux plus grandes puissances de ce monde, la religion et la liberté, on a fait à l’une et à l’autre un mal qui sera difficilement réparable.


III.

L’expropriation révolutionnaire a eu pour les biens des émigrés encore moins de résultats que pour les biens d’église. L’église a perdu ses propriétés, les familles des émigrés sont pour la plupart rentrées dans les leurs.

La somme des propriétés confisquées sur les émigrés, les déportés et les condamnés révolutionnairement était énorme à l’origine ; elle égalait presque la valeur des propriétés ecclésiastiques, ou deux ou trois milliards. En y ajoutant les domaines de la couronne, la totalité des terres de diverse origine mises en vente à la fois comprenait un tiers du territoire. Jamais transformation plus radicale de la propriété n’avait été tentée. Qu’en est-il arrivé ? Plus de la moitié des domaines mis en vente n’ont pas été vendus et ont fait retour en nature à leurs propriétaires, soit pendant l’empire, soit en vertu de la loi du 5 décembre 1814. Il n’en a été vendu en réalité que pour un milliard, exactement 987,819,968 fr. 96 cent.[2], et la plus grande partie de ce milliard a été restituée aux ayant-droits par la loi d’indemnité du 17 avril 1825. La dépossession réelle n’a pas dépassé 3 ou 400 millions, et l’équivalent de cette perte ayant été depuis reconquise et au-delà par des mariages, on trouverait probablement, si l’on y regardait de près, la plupart des familles que la révolution avait cru ruiner plus riches aujourd’hui qu’en 1789. D’après Sieyès, le nombre des nobles n’était que de 110,000, en y comprenant les hommes, les femmes et les enfans ; d’après Lavoisier, il était moindre encore, ou de 83,000, ce qui suppose de 20 à 25,000 chefs de famille au plus. Aujourd’hui le nombre des chefs de famille payant en moyenne 1,000 fr. de contributions directes est de 40 à 50,000.

  1. L’archevêque de Bordeaux (M. de Cicé), l’archevêque de Vienne (M. de Pompignan), l’archevêque d’Aix (M. de Boisgelin), etc. D’autres membres du clergé ont suivi la révolution jusqu’au bout, tels que l’évêque d’Autun (M. de Talleyrand), l’abbé Sieyès, l’abbé Grégoire, etc.
  2. Exposé des motifs de la loi sur l’indemnité, par M. de Martignac, séance du 3 janvier 1825, à la chambre des députés.