Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivent. D’après le dénombrement officiel de 1851, le nombre des religieuses était à lui seul de 29,486, et il n’a certainement pas diminué depuis cette époque. Le département de la Seine en compte près de 4,000; d’autres départemens en ont plus de 1,000. On n’en comptait pas davantage en 1789. Le nombre des religieux n’est pas aussi exactement connu; mais il doit être de plusieurs milliers.

Telle est l’impuissance des révolutions, quand elles veulent changer le monde à leur guise. La persécution révolutionnaire est assurément pour beaucoup dans l’intérêt qui s’attache aujourd’hui aux fondations monastiques. Si les biens du clergé avaient été mieux respectés, s’il avait conservé la jouissance incontestée de propriétés transmises par les siècles, on peut affirmer que les fidèles s’appliqueraient avec moins de passion à lui en créer d’autres, et que, dans tous les cas, les mesures prises comme autrefois par la loi pour mettre obstacle à de nouveaux dons et legs recevraient un assentiment plus général et une exécution plus efficace.

Les ennemis de toute espèce de main-morte diront que cette persistance est un grand malheur. Peu importe à la question spéciale qui nous occupe; en fait, la main-morte a survécu pour une grande partie des biens mis en vente, ce qui atténue d’autant l’effet produit. Il s’en faut d’ailleurs que l’objection contre la main-morte ne souffre aucune exception. Il est au contraire très heureux que certaines natures de biens échappent à la mobilité de la propriété privée. Même sans parler des monumens, des statues, des tableaux, des bibliothèques, qui ne sont, à vrai dire, que des dépôts entre les mains des générations vivantes, on peut citer les forêts. Celles des forêts du clergé qui ont été achetées par des spéculateurs n’existent plus. Dans les cas assez rares où elles ont été remplacées par de bonnes prairies ou de bonnes terres arables, il n’y a qu’à s’en féliciter; mais il est arrivé plus souvent qu’on n’a mis à la place que de mauvais taillis ou des landes improductives, et on en regrette amèrement l’absence. Celles que l’état possède ont gardé plus de valeur, mais elles sont à tout moment menacées d’être vendues à leur tour. Dans certaines provinces, les propriétés ecclésiastiques étaient rares et clair-semées ; dans d’autres, elles comprenaient le quart, le tiers et jusqu’à la moitié du sol. Il fallait corriger ces inégalités, en choisissant avec le temps entre les propriétés que le clergé devait garder et celles qu’il devait vendre. On a voulu s’épargner des difficultés de détail, on s’en est donné de bien plus graves. « Si la nation a droit à la partie, elle a droit au tout, » disait à la tribune un membre de l’assemblée à propos des 400 millions que le clergé abandonnait : parole spécieuse, mais fatale, en ce qu’elle montre cette malheureuse tendance de l’esprit français à tout généraliser