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On a beaucoup dit, pour justifier cette mesure, qu’elle avait eu pour but et pour effet de supprimer en France les biens de main-morte et de les diviser. Même en admettant que ce double résultat ait été atteint, on peut douter qu’il y eût avantage à l’obtenir par ce moyen. Assurément la main-morte est par elle-même plus nuisible qu’utile à l’agriculture, et dans tout état bien ordonné, on doit éviter ce qui l’impose ou même la favorise; mais il n’est pas également prouvé que, quand elle existe, on puisse gagner quelque chose à la détruire violemment et d’un seul coup. En vendant les biens, on ne crée pas les capitaux nécessaires pour les mettre en valeur. C’était déjà beaucoup que de mettre en vente pour 400 millions de propriétés et de préparer pour un temps assez rapproché l’aliénation successive de 600 autres millions ; une pareille entreprise ne pouvait trouver son excuse que dans la nécessité de parer aux dettes de l’état et à celles du clergé, et dans la convenance impérieuse d’une réforme demandée par les intéressés eux-mêmes. Jeter ensemble sur le marché 3 milliards d’immeubles, c’était passer toutes les bornes; il ne pouvait en résulter qu’un effroyable désordre, l’avilissement général de la propriété foncière, et par conséquent la ruine momentanée de l’agriculture, la démoralisation de la partie du public qu’on invitait à se partager cette énorme proie. « Vous ne pourrez pas vendre toutes ces terres à la fois, disait-on un jour à Mirabeau. — Eh bien ! répondit-il, nous les donnerons. »

Est-on bien sûr d’ailleurs d’avoir réduit autant qu’on l’affirme la somme des biens de main-morte? Les immeubles ecclésiastiques ont tous été mis en vente, mais tous n’ont pas été vendus. Les forêts par exemple, qui en constituaient la plus belle partie, sont restées en grand nombre à l’état. Ceux des bâtimens qui n’ont pas été démolis appartiennent presque tous à l’état ou aux municipalités. Il s’est trouvé tout récemment que les hospices possédaient pour 500 millions de propriétés foncières; le patrimoine des pauvres s’est reconstitué sous un autre nom. Si l’on entreprenait de faire le compte exact de ce qui est encore frappé de main-morte à des titres divers, soit parmi les anciens biens du clergé, soit parmi ceux qui les ont remplacés, en y ajoutant les valeurs détruites qui n’ont profité à personne, on trouverait peut-être qu’il n’est pas entré dans le domaine de la propriété privée beaucoup plus d’un milliard. Croit-on que les communautés religieuses, qu’on a voulu dépouiller à tout jamais, ne possèdent réellement plus rien? J’ignore quelle est la valeur des propriétés qui leur appartiennent aujourd’hui; je sais seulement qu’elle est très élevée. Dans quelques provinces, on affirme qu’elle sera bientôt égale à ce qu’elle était en 1789. Un fait positif peut en donner une idée, c’est la quantité de ceux qui en