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ment. Cette opinion a un côté spécieux, en ce qu’elle paraît intéresser la petite propriété, qui est en effet une des principales forces de l’agriculture en France; mais je ne la crois pas fondée.

Il n’est pas impossible, malgré le chaos des affirmations contradictoires, de se faire une idée approximative de la valeur des biens d’église qui appartenaient principalement au clergé régulier. Le premier qui en ait parlé à l’assemblée constituante, l’évêque d’Autun, évaluait, dans la séance du 10 octobre 1789, les revenus de ces biens à 70 millions. Plus tard, le 18 décembre, Treilhard en portait la valeur capitale à 4 milliards. Outre que ce dernier chiffre a été fort contesté au moment où il a été émis, on y comprenait les maisons religieuses, qui ne donnaient pas de revenu; dans la seule ville de Paris, on estimait de 150 à 200 millions les bâtimens et terrains occupés par des couvens. Il est à remarquer en même temps que, beaucoup de revenus ecclésiastiques se composant de redevances et de rentes perpétuelles, on pouvait varier extrêmement sur le mode de capitalisation. En portant à 3 milliards de capital, donnant, à deux et demi pour 100, 75 millions de revenu, la valeur de ces propriétés tant rurales qu’urbaines, on doit être bien près du vrai. Encore faut-il retrancher du revenu net les dettes du clergé, que le rapporteur du comité des dîmes évaluait, le 9 avril 1790, à 11 millions d’intérêts, et le don annuel, appelé gratuit pour la forme, que le clergé était tenu de faire au roi; restent 60 millions environ.

Dans la discussion qui se termina par l’abolition des vœux monastiques le 13 février 1790, il fut constaté qu’il y avait en France 17,000 religieux et 30,000 religieuses. Ce chiffre paraîtra sans doute bien faible à côté de tout le bruit qu’on a fait, mais il n’en est pas moins avéré; beaucoup de couvens, autrefois très peuplés, ne contenaient plus que très peu d’habitans. Avec les chanoines et les autres bénéficiers, le nombre des parties prenantes s’élevait environ à 60,000. La répartition des revenus eût donné tout au plus 1,000 fr. par tête, si elle avait été égale, et elle ne l’était pas : tel abbé avait à lui seul 100,000 livres de rentes, ce qui réduisait d’autant la part des autres, et avec ces revenus il fallait pourvoir à la pompe du culte, aux dépenses des arts, des sciences et des lettres, qui avaient conservé dans les cloîtres d’importans foyers, aux fondations de charité, à l’enseignement, et même aux améliorations agricoles, qui n’étaient pas tout à fait oubliées.

Qu’il y eût quelque chose à faire pour les biens ecclésiastiques comme pour les dîmes, on n’en peut douter. Ce n’était pas, à proprement parler, une propriété comme une autre, en ce sens que le roi, collateur de la plupart des bénéfices, avait une sorte de