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proche en proche de manière à embrasser presque toutes les redevances, quelle qu’en fût l’origine. Il eut mieux valu poser le principe contraire, sauf à l’appliquer avec ménagement, suivant les cas. Le mode de rachat devant être réglé par l’assemblée, il était facile de le rendre nominal, quand il s’agirait d’un droit odieux ou ridicule, comme il en restait encore quelques-uns. Au fond, c’est ce que le roi désirait, sans le dire explicitement; c’était mieux encore, c’était l’opinion de Turgot et de ses amis, exprimée dans le livre de Boncerf, Inconvéniens des Droits féodaux, publié en 1776,

Quoi qu’il en soit, voilà les dîmes et les droits féodaux abolis du consentement du roi au mois d’aout 1789. Dès ce moment, toutes les conséquences qu’un pareil fait pouvait avoir pour l’agriculture lui étaient acquises. En même temps les redevances devenaient rachetables, l’égalité de toutes les propriétés en matière d’impôt était proclamée. Les autres droits de l’homme et du citoyen, tels que la sûreté personnelle, la propriété, la liberté du travail, la liberté de conscience, la liberté de parler et d’écrire, le droit de participer au vote de l’impôt et de prendre part au gouvernement des affaires publiques, n’étaient plus contestés. C’est cet ensemble de conquêtes qui a survécu et qui a vraiment fécondé le sol.

À ces causes générales il faut ajouter la loi du 28 septembre 1791, sur les biens et usages ruraux, venue un peu plus tard, mais encore tout imprégnée du grand esprit de 1789; il suffira d’en citer les deux premiers articles, qui la contiennent en quelque sorte tout entière : — « Art. 1er. Le territoire de la France, dans toute son étendue, est libre comme les personnes qui l’habitent;. ainsi toute propriété territoriale ne peut être sujette qu’aux usages établis ou reconnus par la loi et aux sacrifices que peut exiger le bien général, sous la condition d’une juste et préalable indemnité. — Art. 2. Les propriétaires sont libres de varier à leur gré la culture et l’exploitation de leurs terres, de conserver à leur gré leurs récoltes, et de disposer de toutes les productions de leur propriété dans l’intérieur du royaume et au dehors, sans préjudicier aux droits d’autrui et en se conformant aux lois. » Quand mie nation adopte de pareils principes, elle ouvre devant elle une carrière indéfinie de prospérité. Par malheur, ces principes, à peine posés, ont subi de graves violations et n’ont pu porter que plus tard leurs fruits. Il en est même qui n’ont pas reçu encore aujourd’hui une complète satisfaction. Nous voyons de temps en temps, aux époques de disette, quelques représentans de l’autorité publique contester aux propriétaires le droit de conserver leurs récoltes et d’en disposer à leur gré, même dans l’intérieur du territoire, et pour ce qui est du dehors, nous avons un système de douanes qui prohibe positivement dans