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idées qui devaient triompher en 1789, soit pour l’accroissement de la richesse publique. On confond trop souvent, sous le nom commun d’ancien régime, deux époques fort différentes. La mémoire de Louis XIV et de Louis XV mérite le jugement le plus sévère, mais il n’en est pas de même de Louis XVI. Ce règne, qui a si mal fini, est au contraire une des plus heureuses époques de notre histoire ; il n’y a que les trente ans de la restauration et de la monarchie constitutionnelle qui puissent lui être comparés. Le changement qui s’était opéré pacifiquement avant 1789 dans notre organisation nationale s’est perdu dans les dramatiques incidens de la fin du siècle ; mais s’il frappe moins les yeux, il a été plus réellement utile que la plupart des violences qui l’ont fait oublier.

Au moment où Louis XVI montait sur le trône, la grande révolution qui allait bientôt passer dans les faits était consommée dans les esprits. Les écrivains du XVIIIe siècle, philosophes, légistes, économistes, l’avaient préparée. Dès son premier pas, le nouveau roi appela à lui deux hommes qui sont restés les modèles de la vertu au pouvoir, Malesherbes et Turgot. Ils n’y restèrent pas longtemps, mais ce qu’ils y firent leur survécut, du moins en partie. Quand il n’y aurait eu que les célèbres édits sur la liberté du commerce des grains et des vins, sur l’abolition des corvées et des jurandes, c’était assez pour changer l’économie du travail agricole, commercial et industriel. Après eux vint Necker, qui porta dans les finances publiques un ordre inconnu jusqu’à lui. Les derniers serfs furent affranchis, la question fut supprimée. La France monarchique tendit la main à l’Amérique républicaine, et l’aida à briser le joug de l’Angleterre. La victoire revint à nos drapeaux, qu’elle avait abandonnée depuis Rosbach. En même temps florissaient les lettres, les sciences, les arts : Lavoisier inventait la chimie, Montgolfier découvrait les aérostats, Buffon publiait les Époques de la Nature, Haüy fondait la minéralogie, Lagrange écrivait la Mécanique analytique, Jussieu perfectionnait la botanique, Bougainville achevait le tour du monde, Greuze et Vien régénéraient la peinture, Grétry créait la musique nationale, Sedaine et Beaumarchais transformaient le théâtre. En agriculture, les deux plus grandes conquêtes qu’on ait faites depuis des siècles, les seules qu’il soit possible de citer depuis l’introduction du maïs et de la soie, commençaient à s’accomplir : Parmentier popularisait la pomme de terre, Daubenton introduisait la race espagnole du mouton mérinos. De leur côté, le commerce et l’industrie, longtemps comprimés, avaient pris l’essor. La seule colonie de Saint-Domingue, aujourd’hui perdue, donnait lieu à un va-et-vient maritime de près de 200 millions. Toutes nos villes s’enrichissaient à vue d’œil, et leurs plus beaux quartiers datent encore de ce temps.