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pour unique cause le mouvement philosophique du savoir, pour seuls faits décisifs les résultats généraux que constate la statistique. Or là semblerait conduire non le livre entier, mais la philosophie du livre de M. Buckle. Ne se pourrait-il pas que, bien qu’assurément il ait conçu son ouvrage avec réflexion, il ne se fût pas rendu un compte assez sévère de sa pensée ? Il faut qu’il nous permette d’être plus rigoureux que lui.


VI.

Dès le début (et ce semble une de ses idées fondamentales), il a l’air de regarder comme évident que l’histoire ne sera parfaite et tout à fait elle-même que lorsqu’elle sera une science ; mais est-il donc dans sa nature d’être une science ? Elle en est une, en ce sens qu’elle nous apprend beaucoup de choses. Assurément les objets de l’histoire sont dignes d’être connus, et elle en est la science en tant qu’elle nous les fait connaître. Elle a de la science qu’elle est tenue d’être exacte, qu’elle a besoin d’ordre et de clarté, qu’elle doit mettre les choses à leur place, bien assortir les causes et les effets, les conséquences et les principes. Est-elle pour cela, peut-elle être une science proprement dite ? Une science proprement dite est au moins un système de généralités, tirées par l’induction de faits constatés, ou, par la déduction, de principes certains, en telle sorte qu’elle puisse également servir à expliquer les phénomènes passés, ou à prévoir les phénomènes à venir. L’histoire est un système, si l’on veut, mais de particularités, et non de généralités. Elle recueille, classe, expose des faits particuliers comme ils se sont passés, dans un ordre que la raison accepte du temps, quoique la raison puisse juger après avoir raconté, et enchaîner, suivant ses propres lumières, les faits en les expliquant. De là naissent au besoin certaines vérités générales, qui serviront, j’en conviens, à éclairer l’avenir comme le passé. Ce sera la partie scientifique de l’histoire ; ce ne sera pas l’histoire, mais la philosophie de l’histoire. Celle-ci n’est peut-être pas fort avancée ; au moins comme tentative, elle n’est pas fort nouvelle. Voici quelques propositions qui étaient à peu près convenues parmi les historiens de l’antiquité : — Les mœurs sont plus puissantes que les lois. — Tous les états sont destinés à traverser des âges analogues à ceux qui partagent la vie humaine, l’enfance, la jeunesse, la virilité, la vieillesse. — Le luxe est le signe et la cause de la décadence de l’état. — On pourrait citer d’autres maximes encore. Sans donner celles-ci pour exactes, il faut cependant reconnaître que, si elles l’étaient, elles