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neuse, sans qu’aucune lumière soit obtenue. Dans un procès jugé en Allemagne, un homme prétendait avoir reconnu un voleur à l’aide de la lumière éclatante produite par un coup de poing qu’avait assené ce voleur imprudent : il se trompait ou trompait les juges. Son œil avait vu la lumière, sans que rien eût été éclairé. On pourrait en dire autant de tous les nerfs sensoriels. Ils nous révèlent l’existence du monde corporel, mais ils ne nous apprennent rien touchant sa nature et son essence.


II.

Trois théories ont successivement expliqué l’action des poisons, des médicamens et des alimens sur l’organisation : celle des chimistes, celle des physiciens et celle des vitalistes. Pour les premiers, le poison ou le médicament[1] cause la mort, la maladie ou la guérison par une altération reconnaissable des solides ou des liquides de l’économie. Pour les physiciens comme Borelli ou Boerhaave, il y a dans tous ces cas changement dans les conditions physiques auxquelles sont liés les phénomènes de la vie. Enfin les vitalistes, et l’école de Montpellier en particulier, ont attribué aux substances toxiques une action directe sur ces forces peu connues que Bichat énumérait et distinguait, et que l’on confond maintenant sous le nom générique de force vitale. On a longtemps cherché la vérité au milieu de ces opinions diverses, et on ne la trouvera que le jour où l’on apercevra clairement, ce que l’on commence à entrevoir, qu’elles sont vraies ou fausses suivant les cas, et que les substances organiques ou minérales peuvent agir chimiquement, mécaniquement, et quelquefois aussi, dans l’état actuel de la science du mains, non pas sur la force vitale, mais sur le système nerveux. Ainsi l’acide sulfurique désorganise les tissus; les tartrates enlèvent au sang son oxygène; certains sels de fer lui en donnent un excès, toutes choses faciles à observer et à mesurer : voilà pour la chimie. D’autres substances, assez rares, peuvent ralentir l’écoulement des liquides ou l’accélérer. C’est du moins ce que pense M. Poiseuille et ce qu’il paraît avoir démontré par d’élégantes expériences. Il a vu que l’eau chargée d’alcool s’écoule moins vite que l’eau pure dans les mêmes conditions. La circulation d’un sang chargé d’alcool doit donc être ralentie. En effet, le sang circule très lentement chez les gens ivres. L’eau chargée de certains sels de potasse coule plus vite que l’eau pure; par conséquent l’azotate de potasse doit activer

  1. La distinction entre l’un et l’autre est superficielle, et presque tout médicament est un poison, si la dose est plus forte.