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sont les caractères de la race. Pour celui même que ne persuadent point nos traditions religieuses, il ne se peut prouver qu’il y ait plusieurs espèces humaines : en histoire naturelle, toute question est insoluble où l’expérience est impossible. Pour le plus convaincu de la vérité du récit de Moïse, il existe cependant des races distinctes qui peuvent se mêler, mais qui ne sauraient se résoudre l’une dans l’autre, en sorte qu’une d’elles, après les avoir absorbées, restât ce qu’elle a toujours été. J’insiste sur ce point, parce qu’en ce moment l’ethnographie joue un grand rôle, non-seulement dans l’opinion commune, mais dans la science, et cependant M. Buckle l’a entièrement négligée. Lorsqu’on cherche à connaître l’homme par l’histoire plutôt que par la philosophie, on ne saurait pourtant passer sous silence l’ethnographie, ou si on l’écarté, il faut en donner les raisons. L’auteur d’un livre qui dénote beaucoup d’instruction et d’esprit, M. de Gobineau, a entrepris d’expliquer toute l’histoire par l’inégalité essentielle des races humaines. Les migrations des peuples et le mélange de leur sang seraient, selon lui, les seules causes de tout ce qu’on est dans l’usage d’attribuer au climat, aux religions, aux lois, aux événemens, ou plutôt les religions, les lois, les événemens mêmes auraient leur source dans les veines des nations. Ainsi l’histoire entière serait à refaire depuis le commencement. On peut ne pas aller jusqu’à ces extrémités, et bien des objections se présentent d’elles-mêmes ; mais il faut convenir qu’il y a lieu d’examiner quels sont les fondemens de tant de lieux communs de la politique courante sur les races anglo-saxonnes, sur les néolatines, sur les slaves, sur les sémites, etc. Dans un ordre plus élevé, il faut bien reconnaître qu’une science tout entière est née, et qu’appuyée sur la physiologie, la géographie physique, l’archéologie et la linguistique, elle se présente sous un aspect assez imposant pour que désormais tout historien doive compter avec elle.

De cet insuffisant résumé des élémens sociaux et des matériaux de l’histoire, il me semble résulter que M. Buckle a considéré son sujet, non pas d’une manière fausse, mais d’une manière étroite. Il ramène tout à un seul fait, le progrès de l’intelligence, et ce progrès, il semble le placer tout entier dans l’existence et le travail de l’esprit d’inquisition scientifique. Or il y a ici quelque confusion. La méthode rationnelle des sciences est tour à tour présentée comme l’âme tant de la science historique que de la civilisation réalisée dans les faits. Sur le premier point, nulle difficulté : la question de la méthode depuis longtemps n’en est plus une. Sur le second point, une certaine distinction est nécessaire. D’un commun aveu, la vraie méthode de la science n’est distinctement connue, explicitement pratiquée, passée dans l’usage enfin, que depuis les temps