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tés de créatures semblables rapprochées par des circonstances analogues. Voilà, si l’on peut ainsi parler, la société nécessaire, la société du besoin.

Ce besoin n’est pas tout l’homme, ou, si l’on tient à ce mot, l’homme a d’autres besoins que ceux dont la satisfaction est assurée par cette condition sociale grossière. Ceux-là même se développent, se compliquent, se raffinent, et sollicitent un système plus parfait de moyens calculés pour les satisfaire. Toute la communication s’étend et se perfectionne en proportion ; si l’on veut qu’elle n’ait pas dès le début employé la parole, elle y arrive enfin. Avec le langage, qui devient de plus en plus logique et non pas seulement pathétique, tous les élémens sociaux reçoivent un rapide accroissement.

Mais la nature humaine n’est pas seulement active, elle est contemplative. L’intelligence, non contente de percevoir et de vouloir, de se déterminer par une raison qui semble instinctive, et de recommencer sous l’empire de la mémoire et de l’habitude, est capable de réflexion. La réflexion monte en quelque sorte les degrés du langage, et un de ses premiers actes est de se replier sur les actes antérieurs de l’intelligence et de la volonté, de s’en représenter les circonstances, les conséquences, les motifs, et de former ainsi des associations nouvelles qui composent le premier système de la connaissance. Cet ensemble d’idées, liées par la raison comme par la mémoire, devient un dépôt où l’esprit puise ses déterminations pour des occurrences nouvelles. C’est tout un système de connaissances applicable et disponible ; c’est presque de la science. Le premier caractère scientifique est la généralité. Se représenter d’une manière générale les phénomènes de la.nature ou ceux de l’activité humaine, c’est ébaucher une théorie de la nature et de l’homme. Seulement la réflexion, qui la commence, ne la continue pas. C’est elle qui dans la contemplation des effets puise la recherche des causes ; mais elle les demande le plus souvent à l’imagination. Elle se figure d’abord les causes comme des puissances animées, par analogie avec la cause que l’homme connaît le mieux, puisque cette cause est lui-même. Le pouvoir mystérieux des causes naturelles prend donc pour lui de bonne heure quelques-uns des caractères d’un pouvoir surnaturel. C’est ainsi que, dans le cas où d’autres secours ne lui seraient pas donnés, la réflexion sur l’invisible cause des effets visibles le mettrait sur la voie de la Divinité. Ce serait la première forme que prendrait l’idée religieuse. Mais l’homme ne considère la nature que par rapport à lui-même, il la regarde comme une force active qui s’oppose à lui, et il ne peut le faire sans réfléchir à ses propres actes. L’intérêt, l’expérience, le sentiment obscur du droit lui ont bientôt appris à les approuver ou