Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’heure où il avait aperçu la gracieuse apparition dont sa vue était encore égayée. Le regard de Luce lui envoyait des rayons de soleil. Tout à coup une expression douloureuse se peignit sur les traits de Jacques. — Quand j’aurai repris ma vie parisienne,... avait dit étourdiment la jeune fille en essuyant quelques gouttes de lait suspendues à sa bouche vermeille. — Vous la reprendrez donc, Lucette, dit-il avec un long soupir, cette exécrable vie? — Elle lui tendit entre le vase brun et le bouquet de fleurs une main qu’il embrassa, et tout en faisant ce mouvement produit par une inspiration soudaine, elle attacha sur lui des yeux voilés par un nuage de tendresse d’où jaillit un adorable sourire. — Vous savez bien que tout nous sépare, lui dit-elle, mon passé et votre avenir. — Vous avez raison, répondit-il, je manque à nos conventions d’hier plus gravement que je ne l’ai fait encore. Pardonnez-moi, jouissons de l’heure présente, et allons faire un tour dans notre jardin, oui dans notre jardin, Lucette; que je profite au moins du temps où je pourrai dire ce mot-là!

Il la regardait courant à travers les gazons quand on lui apporta une lettre de Mme de Fernelles. C’était une invitation à diner pour le soir même. Mesrour sentit une sorte de piqûre en recevant ce billet. — Déjà! pensa-t-il. C’était en effet la première irruption des nécessités sociales dans ce monde à part, où depuis quelques heures il essayait de s’ensevelir. Son logis lui paraissait trop agréablement habité pour qu’il songeât à s’en absenter une soirée entière. Toutefois il ne pouvait se dispenser de répondre avec une tendre politesse à l’aimable personne qui s’inquiétait de lui. Il résolut d’aller sur-le-champ porter lui-même ses excuses à Mme de Fernelles.

Il la trouva dans un assez vaste salon, à demi couchée sur une chaise longue. Quoiqu’il régnât autour d’elle une de ces lumières savantes que les moins coquettes d’entre les femmes se ménagent quand elles commencent à dépasser l’âge rapide où leur est permise la confiance dans le grand jour, Jacques fut saisi d’une pensée qui ne laissa pas d’avoir quelque influence sur son esprit. Il songea, sans le vouloir, au contraste qui existait entre ce visage fin et gracieux assurément, mais où se projetait déjà l’ombre attristante des années, et ce visage de Lucette qu’il venait de laisser rayonnant de fraîcheur et de jeunesse sous la plus indiscrète des clartés. Pourquoi, me direz-vous, ces songeries à propos de l’honnête Camille, dont il n’avait jamais été que l’ami? Ces songeries sont dans notre nature à tous; l’amitié, quand elle veut nous persuader sous les traits d’une femme, ne doit pas faire mépris de la beauté.

Quoi qu’il en soit, Mme de Fernelles ne lui parut pas en ce moment armée de tous ses avantages pour le prêcher, ce qu’elle ne devait pas tarder à faire. Les femmes ont un incroyable instinct