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avec aucune des amies dont elle a reproduit les traits, et son pinceau pourtant n’avait pas cette flatterie qui, en caressant les vanités individuelles, cause de vraies douleurs à la conscience publique. Ses portraits étaient touchés avec une grâce si habile, qu’ils forçaient Alceste et Philinte à se réunir dans une commune admiration. Fernelles n’avait jamais eu pour lui qu’une assez agréable figure dont les années avaient très vite altéré l’expression. C’était un beau vieilli. Le petit parfum romanesque qu’il avait offert à sa femme aux premières heures de leur mariage s’était évaporé depuis longtemps. C’est ce que Mesrour avait parfaitement compris à une époque où il avait été appelé à voir sans cesse Mme de Fernelles; mais quoiqu’on lui ait souvent reproché ce qu’on nomme pompeusement et vaguement une absence de tout principe, il s’est plusieurs fois piqué en amitié d’une sorte de religion. Aussi avait-il avec la femme de son compagnon une de ces intimités qui ne causent à l’hymen que de légers et réparables dégâts. Il se livrait vis-à-vis d’elle à ces confessions que les femmes écoutent avec tant de douceur; elle avait un certain sourire dont il recevait toujours, assurait-il, un soulagement immédiat, qu’il appelait une manière de donner l’absolution. Malheureusement le soir dont je parle aucun sourire, aucun regard, aucune parole dorée d’intelligence ou parfumée de bonté n’aurait pu enlever à Jacques le poids implacable qui l’oppressait. Dans cette bataille incessante de la vie, il y a certaines défaites qui nous donnent la morne attitude d’un sauvage réduit en captivité. C’était une de ces défaites-là que Mesrour croyait avoir subies. Cependant il se dirigea vers le Coudray, qui lui parut bien différent de la maison d’où venait de l’exiler un élan de douloureux ennui.

Le Coudray semblait être le toit de l’homme marié insultant au toit du célibataire. Un bruit de piano, un jeu de lumière, des éclats de voix s’échappaient d’une vaste pièce dont les fenêtres étaient ouvertes sur un perron bordé de fleurs. Il y avait une réunion assez nombreuse chez Mme de Fernelles, et à la seule manière dont les hommes et les femmes étaient groupés on sentait un salon régi par des lois intelligentes. Une jeune fille faisait de la musique; mais ce n’était pas une de ces virtuoses domestiques imposant, de par la volonté maternelle, le supplice d’une sonate à ses auditeurs contristés; la jolie musicienne semblait jouer pour son propre plaisir, et laissait courir ses doigts sur les touches du piano, comme elle aurait laissé ses pieds courir sur un gazon. L’écoutait qui voulait. Tandis que deux ou trois personnes attentives voyageaient avec elle dans la région de l’harmonie, d’autres parcouraient en toute liberté des régions moins idéales. Une femme assez élégante, et qui semblait très versée dans l’art antique de la coquetterie, déployait une