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vous n’y réussirez pas. Cependant il faut bien que le contenant égale au moins le contenu, et une théorie ne doit rien laisser en dehors. Sans prétendre à tracer une esquisse complète, on nous permettra de rappeler tout ce qu’une telle esquisse aurait à comprendre, et peut-être cela suffira-t-il pour indiquer les lacunes du système et de l’ouvrage objet de cette étude.

De quelque manière que la société ait commencé, les hommes ont des besoins qui veulent être satisfaits les premiers. À ces besoins répondent la nourriture, l’habitation, le vêtement. Pour avoir ces choses, ils emploient de certains moyens, et, si grossiers qu’on les suppose, l’emploi de ces moyens est un travail, et ces moyens, dès qu’ils se répètent, sont des arts ou tendent à devenir des arts. Dès que l’homme s’applique à satisfaire aux premiers besoins de la vie, le travail et l’art ont commencé. Du travail et de l’art naît déjà la propriété. L’homme ne fît-il que monter à l’arbre pour cueillir un fruit, il se l’approprie. S’il n’est pas seul, et il ne l’est pas, il communique avec ses semblables. Un instinct, un instinct physique, car il lui est commun avec tous les animaux, suffirait pour qu’il propageât son espèce ; mais un instinct d’un ordre plus élevé fait naître de ce commerce la famille, comme de ses autres communications est née la société. Dans ce milieu de la famille et de la société encore informes, toutes ces choses, travail, art, propriété, se développent et se caractérisent davantage. Ce que le besoin a commencé, l’habitude le maintient, l’expérience l’améliore, l’exemple le transmet ; la tradition s’établit. Pourtant les hommes diffèrent entre eux ; l’inégalité des facultés et la diversité des circonstances sont la source des perfectionnemens et des découvertes. Les relations mutuelles d’une sociabilité naissante produisent une certaine communauté, c’est-à-dire que si tous ne jouissent pas de ce qui s’est fait, tous le connaissent, et cette communauté de connaissances est ce qu’on pourrait appeler la civilisation commençante. L’inégalité entre des créatures intelligentes, sensibles, actives, mais passionnées, amène des conflits, et l’état de guerre n’aurait ni trêve ni terme, si la raison, bien que faible encore, ne conduisait pas à mettre toutes ces choses, — besoin, travail, arts, propriété, relations de famille et de société, — sous la protection de certaines règles, qui s’établissent surtout par la puissance de l’habitude et par celle de l’intérêt. Ces règles ont besoin d’être défendues ; elles ne peuvent l’être que par la force. Si l’intérêt et la force qui le défend sont approuvés même du spectateur désintéressé, le sentiment du droit a pris naissance. Là est l’origine des lois et des gouvernemens. La convention dont on veut que la première organisation sociale soit l’expression n’est que la coïncidence naturelle des besoins, des habitudes, des idées et des volon-