Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mar à Séville et à Madrid, où l’appellent des succès de théâtre, lorsqu’enfin elle est fêtée, recherchée et attirée, on le dirait, vers une vie supérieure, Marisalada ne se dément pas un instant. Comme elle a une voix divine qui a été perfectionnée par l’art, elle chante sans doute merveilleusement la Casta diva; mais c’est dans la chanson andalouse qu’elle est vraiment elle-même, exprimant sans effort toute cette dangereuse et irritante passion du Midi. On lui demande à son entrée dans le monde « comment elle trouve Séville? — Assez bien, répond-elle. — Comment vous semble la cathédrale? — Trop grande. — Et comment vous paraissent nos promenades? — Trop petites. — Qu’est-ce donc qui vous a plu? — Les taureaux... » Et quel sera l’homme qui dominera cette créature mystérieuse? Ce sera un torero, Pepe Vera, une nature semblable, un personnage qui vient se mêler à la vie de la chanteuse d’une leste façon.


« Maria quittait la scène au bruit des applaudissemens, quand elle se trouva face à face avec Pepe Vera et quelques autres jeunes gens.

« — Bénie soit, dit le célèbre torero en étendant à terre sa cape comme un tapis, bénie soit cette gorge de cristal capable de faire mourir d’envie tous les rossignols du mois de mai !

« — Et ces yeux, ajouta un autre, qui blessent plus de chrétiens que tous les poignards d’Albacete.

« Maria passa sans peur et dédaigneuse comme toujours.

« — Elle ne nous regarde même pas, dit Pepe Vera. Voyez-vous? Un roi est un roi, et il regarde un chat. Pour sûr, c’est une belle fille, quoique...

« — Quoi donc? dit un de ses compagnons.

« — Quoiqu’elle soit boiteuse, dit Pepe Vera.

« En entendant ces paroles, Maria ne put contenir un mouvement involontaire et fixa sur le groupe ses grands yeux étonnés. Les jeunes gens se mirent à rire, et Pepe Vera lui envoya un baiser du bout des doigts. Maria comprit bien que ce mot n’avait été dit que pour la faire retourner. Elle ne put s’empêcher de sourire, et elle s’éloigna, laissant tomber son mouchoir. Pepe le ramassa aussitôt et s’approcha d’elle comme pour le lui rendre.

« — Je vous le donnerai ce soir, à la grille de votre fenêtre, lui dit-il tout bas et avec précipitation.

« A minuit. Maria quittait la chambre à pas furtifs, après s’être assurée que son mari était plongé dans un profond sommeil »


Alors commence pour la Gaviota une vie étrange, une vie conforme après tout à ses instincts. Vainement Stein entoure Marisalada de soins délicats; le duc d’Almansa, qui s’est épris d’elle, a beau la convier à une passion plus noble, la Gaviota ne reconnaît qu’un dominateur, Pepe Vera, et elle plie servilement sous le joug d’une nature qui n’est pas plus relevée qu’elle, mais qui est plus brutale et plus forte. Si Pepe Vera ne veut pas qu’elle paraisse au théâtre,