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cez-vous devant le couvent, d’où l’on découvre une perspective immense et uniforme :


« A droite la mer sans limites, à gauche la prairie sans fin ; au centre se dessinait dans la clarté de l’horizon le profil obscur du fort en ruines de San-Cristobal, comme l’image du néant au milieu de l’immensité. La mer, que n’agitait pas le plus léger souffle, se balançait mollement, soulevant sans effort ses vagues, que les reflets du soleil doraient, comme une reine qui laisse flotter son manteau. Le couvent, avec ses grandes lignes sévères et anguleuses, était en harmonie avec ce grave et monotone paysage. Sa masse cachait l’unique point de l’horizon intercepté dans ce panorama uniforme. C’est sur ce point que se trouvait le village de Villamar, situé au bord d’une petite rivière aussi abondante et turbulente en hiver qu’elle était pauvre et stagnante en été. Les environs présentaient de loin l’aspect d’un damier dont les carrés offraient mille variétés de verdure : ici le vert-jaune de la vigne encore couverte de ses feuilles, là le vert cendré d’un champ d’oliviers, ou le vert émeraude du blé que les pluies d’automne avaient fait pousser, ou le vert sombre des figuiers, et tout cela divisé par le vert azuré des haies d’aloès. A l’embouchure de la rivière croisaient quelques barques de pêcheurs. Sur une hauteur voisine était une chapelle, et devant cette chapelle une grande croix s’élevait sur un piédestal semblable à une pyramide. Derrière s’étendait un enclos couvert de croix noires : c’était le cimetière. Sur le devant de la croix pendait un fanal toujours allumé, et cette croix, emblème du salut, servait de phare aux mariniers... »


C’est là que vont se succéder, se grouper et vivre tous ces personnages qui ont une singulière couleur de vérité et de naturel : le frère Gabriel et Modesto Guerrero, le vieux Santalo, le pêcheur catalan toujours dur à la fatigue et cachant une bonté inculte sous une rude enveloppe, la bonne Dolorès, la femme du laboureur, qui garde le couvent, Momo, le petit démon andaloux, qui poursuit tout le monde de sa spirituelle et impitoyable causticité, l’Allemand Frédéric Stein, le jeune chirurgien qui a d’abord servi dans la guerre de Navarre, et qui est venu par une matinée d’automne échouer tristement à Villamar. Mais entre tous ces personnages épisodiques, le plus frappant au point de vue humain et moral, c’est l’héroïne même, Marisalada, à qui on a donné le nom de la Gaviota, — la mouette. Un jour, le duc d’Almansa, qui a été blessé à la chasse près de Villamar et qui a été soigné par Stein, se promène avec celui-ci au bord de la mer, lorsque tout à coup retentit une voix vibrante et expressive, d’une puissance merveilleuse. « Il y a des sirènes dans cette mer, ou des anges dans cette atmosphère, » dit le duc. C’est Marisalada, la fille du pêcheur Santalo.

Avec une voix merveilleuse qui semble un don égaré du ciel, Marisalada est une nature étrange, pleine de contradictions et de