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entre les mains d’un particulier, et elle est aujourd’hui blanchie à la chaux. Le château du Mnesteo, à Puerto-Santa-Maria, « ce vigoureux et grandiose squelette aux pieds phéniciens, au corps romain, à la tête mauresque et aux bras espagnols, » le château du Mnesteo est maintenant occupé par une église et par quelques paisibles habitans qui cultivent un jardin là où les Maures avaient leurs arsenaux de guerre. Telles qu’elles sont pourtant, ces ruines subsistent: elles ont une légende et des traditions connues du peuple; elles font partie du paysage.

Ce mélange de toutes choses, cette persistance des traditions au milieu des envahissemens de la vie moderne, ce contraste du passé et du présent, c’est une des poésies de l’Espagne, une poésie qui se reflète dans les romans de Fernan Caballero. Le conteur espagnol semble avoir voulu résumer cette lutte en faisant apparaître dans un de ses récits, la Gaviota, deux monumens, le couvent de Villamar et le fort San-Cristobal, — deux images du passé, deux ruines qui se trouvent en quelque sorte personnifiées sous une forme ingénieuse et touchante, et qui viennent se mêler à la fiction. Le couvent de Villamar est placé sur une élévation en face de la mer; c’est un de ces vastes et riches monastères d’autrefois où toutes les merveilles de l’art avaient été prodiguées. Aujourd’hui il est vide et nu. Le clocher, dépouillé de son ornement, s’élève « comme un géant inanimé qui a vu s’éteindre dans ses orbites creux la lumière de la vie. » En face de l’entrée est une croix de marbre blanc, penchée sur un piédestal à demi détruit. Dans l’intérieur, tout tombe de vétusté; les autels sont dépouillés, les lampes d’argent ont disparu, les vitraux brisés laissent entrer les hibous et tous les oiseaux qui vont nicher dans les voûtes. Lorsque les couvens ont été fermés, cette ruine a été mise sous la garde d’une famille de laboureurs qui l’habite. Tout près du couvent de Villamar, et comme pour se livrer avec lui à un dialogue mélancolique, est le fort San-Cristobal, un vieux fort planté sur un rocher abandonné, «un squelette de château avec une garnison de lézards. »

Ces pierres ont, pour ainsi dire, une personnification humaine qui exprime leur destinée d’aujourd’hui. Le couvent a fray Gabriel, le fort a son commandant, don Modesto Guerrero, deux des personnages les plus curieux assurément de Fernan Caballero, deux bas-reliefs sculptés sur ces vieux frontons. A l’époque où les moines furent chassés, un vieux frère lai s’assit sur les degrés de la croix blanche de la porte, et il pleurait : c’était fray Gabriel. « Ne venez-vous pas? lui dit-on. — Et où puis-je aller? répondit fray Gabriel. Jamais je ne suis sorti de ces murs où j’ai été recueilli tout enfant et orphelin. Je ne connais personne dans le monde; je ne sais que soigner le jar-