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furieux en levant son bras; vous verrez si c’est de la fanfaronnade! Voyez qui parle de jactance andalouse, — un Valencien ! — En même temps, comme il avait la main en l’air, sa chemise retomba et laissa voir un bras velu et musculeux où était imprimée avec de la poudre une croix bleue comme celles que se font les mariniers. — Ah ! on voit que tu es bon chrétien, dit ironiquement le presidiario en regardant cette croix. — Non, je ne suis pas bon chrétien, répondit le baratero, mais je ne suis pas impie comme toi; je n’ai point échappé aux galères des Maures, entends-tu? Je ne suis ni hérétique ni Juif; je respecte la croix; cela, je l’ai sucé avec le lait de ma mère. Que Dieu ait son âme et que le démon ait la mienne, si je ne fais pas taire pour plus de temps qu’il ne voudra celui qui y trouvera à redire ! »

Cela signifie, ce nous semble, que le catholicisme n’est pas seulement une religion; il fait partie du caractère populaire dans lequel il s’est en quelque sorte incorporé et dont il reste un des élémens intimes, même quand il n’exerce pas une influence complètement rassurante. C’est ce qui fait que, de tous les peuples, l’Espagnol ou l’Andaloux est le moins propre à changer de religion. « Comment instruire ces gens? dit Delgado dans Elia. Ils ont leurs chroniques et leur croyance dans des couplets, des fleurs, des romances et des contes! » Ainsi apparaît le peuple de l’Andalousie, indolent pour le travail et ardent pour le plaisir, pauvre, mais non famélique, inculte et non vulgaire, fier et insolent peut-être, rarement grossier, fort insouciant de libertés politiques et passionné pour la liberté pratique de ses mœurs, mêlant enfin dans sa religion cet instinct de la réalité qui aime à tout matérialiser et la vivacité poétique de son imagination. Il n’apparaît point autrement dans les romans de Fernan Caballero.

Il est vrai, de cette nature bien des traits s’effacent jour par jour, bien des nuances originales s’altèrent; des caractères nouveaux se dessinent à travers ce mouvement confus d’une société qui se transforme. Telle est la puissance du passé cependant, que ce qui a été survit encore partout. Dans les mœurs, on retrouve mille traces de la vie, des instincts et des croyances d’autrefois, de même que sur le sol on rencontre à chaque pas tous ces débris qui furent des monumens, — tours mauresques, couvens, oratoires, — comme le laboureur de Virgile, dans les campagnes latines, rencontrait sous son soc des armures, des casques et des restes humains qui l’étonnaient. Ces débris sont abandonnés de la vie sans doute; les monumens ont subi mille transformations, ils n’ont plus leur destination primitive. Un couvent est devenu une prison; la tour de doña Maria de Padilla, après avoir appartenu à la cathédrale de Séville, est passée