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fait entendre que le cri plaintif où le peuple andaloux croit distinguer encore le mot cruz, cruz! Il y avait au pied de la croix un beau rosier aux fleurs blanches; une goutte du sang de Jésus tomba sur ces fleurs, et depuis lors c’est ce qu’on nomme la rose de la passion. Ces légendes sont innombrables, et sont répétées dans tous les foyers. Le catholicisme a laissé sa trace dans une foule d’autres coutumes. C’est évidemment d’une pensée religieuse qu’est née cette tradition qui consiste à laisser, « par une respectable illégalité, » comme dit Fernan Caballero, l’horloge du palais de l’Audience de Séville en retard de dix minutes, comme pour accorder aux suppliciés dix minutes de plus pour se repentir ou pour obtenir une grâce tardive.

Ce catholicisme, au surplus, est parfois d’une étrange sorte. Il se combine avec bien d’autres entraînemens, bien d’autres instincts violens et passionnés, entre lesquels il fait une assez surprenante figure. Le bandit, lui aussi, est catholique, et il l’est même à sa manière, avec une sorte de sincérité bizarre, sans apparence d’hypocrisie, car il sait bien que s’il se laisse prendre, cela ne le sauvera pas humainement du dernier supplice. Le capitaine de voleurs Diego dévalise l’église d’Alcala, et cela ne l’empêche pas de se découvrir devant une croix dans la solitude, là où nul ne le voit. Nulle part ces contradictions ou ces mystérieuses combinaisons du caractère espagnol ne sont décrites d’un trait plus saisissant que dans une petite scène d’un des contes de Fernan Caballero, l’Ex-voto. Tandis qu’au-dehors une nuit silencieuse et pure de mai s’emplit de murmures indistincts, tandis que la mer « semble regarder le ciel comme pour apprendre de lui à ne pas s’agiter, » voici, dans un village perdu, une petite auberge, refuge habituel des vagabonds, des déserteurs, des contrebandiers, de tous ces hommes sans foyer, sans asile, sans lien dans la vie. Une lumière rouge et moribonde se laisse apercevoir dans l’atmosphère épaisse de ce lieu sordide. L’aubergiste est digne de la scène; pour avertir sa clientèle de ne pas s’attarder, il psalmodie de temps à autre ces mots : « Nous entrons, nous buvons, nous payons, nous sortons. » Il y a là deux hommes, un galérien et un déserteur, attendant un troisième personnage, une espèce de contrebandier qui arrive bientôt. La conversation s’anime. « Je gage, dit le dernier venu, qu’aucun de vous n’est capable de faire ce que je ferai….. tuer, en sortant d’ici, le premier homme qui se trouvera devant nous, non par trahison, mais loyalement, face à face, en le laissant se défendre comme il pourra. — Pourquoi troubler le monde sans profit? dit le déserteur. — Il ne le ferait pas lui-même, ajouta le presidiario; — pure fanfaronnade! beaucoup de bruit et peu de noix, comme dit le proverbe. — Par l’âme de ma mère! s’écrie le baratero