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sphère, la mer dans son éclat et sa majesté, en face Cadix se dessinant dans l’azur, d’un côté l’élégant Puerto-Real et l’île de Léon, de l’autre une pente douce montant vers San-Lucar de Barrameda, au nord la route qui conduit à Jerez, et dans le fond de cet horizon les montagnes de Ronda, dominées par le fort San-Cristobal, qui élève sa tête dans les nues. C’est là le paysage, quelquefois uniforme, souvent plein de contrastes, toujours saisissant, que Fernan Caballero décrit avec une inépuisable abondance, et qui sert en quelque sorte de cadre à ses créations, ou plutôt qui fait partie de ces créations mêmes, comme pour ajouter l’attrait pittoresque à l’attrait moral dans cette reproduction de la vie familière d’un peuple.

Fernan Caballero est donc avant tout un peintre de la nature et des mœurs. Je ne veux pas dire que l’écrivain espagnol ne joigne à ce don de la description locale une fine connaissance du cœur et qu’il n’ait, lui aussi, ses histoires intimes où palpitent les plus doux et les plus profonds sentimens de l’âme humaine. Elia est une attendrissante figure, une gracieuse et douloureuse image de l’amour virginal allant se heurter contre les conventions sociales et retombant par un sacrifice volontaire dans la paix du cloître. Clemencia est l’histoire des luttes intérieures d’une jeune femme, d’une jeune veuve, éprouvée par un premier mariage malheureux et bientôt ramenée dans son veuvage à tous les combats de la vie. Néanmoins, dans ces pages d’une psychologie délicate, la hardiesse de l’analyse ne va pas évidemment au-delà d’un certain degré, et l’intérêt de ces récits n’est pas tant peut-être dans le développement d’une passion, d’une idée, ou dans l’anatomie d’une situation morale, que dans la variété des scènes, dans le contraste des caractères et dans l’ingénieuse nouveauté d’une succession de tableaux où se reflète la vie espagnole. Chacun des romans de Fernan Caballero est comme une galerie de types, les uns esquissés d’un trait léger et rapide, les autres retracés avec prédilection et remis au jour comme de vieux portraits de famille dont on aime à secouer la poussière.

Ouvrez Elia ou l’Espagne il y a trente ans; voyez-vous, tandis que Séville célèbre la restauration de son roi bien-aimé, Ferdinand VII, voyez-vous à un balcon cette petite vieille u au visage ridé comme un raisin sec, aux yeux petits et vifs comme des graines de piment, » avec une mantille de dentelle noire placée sans prétention sur ses cheveux blancs? C’est doña Isabel Orrea, sœur du défunt marquis de Val de Jara, veuve du renommé et puissant assistente de Séville, don Manuel Farsan y Calatrava, qui était lui-même fils d’un vice-roi du Mexique. L’assistenta, comme on la nomme, est une Espagnole d’autrefois, du temps où Séville ressemblait à une noble matrone, le rosaire à la main, allant le matin dévotement à la messe, jouant au