Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Serbie : la guerre y a fait des hommes, George le Noir, Milosch, et le nom de ces hommes a fait un état. Voyez le Monténégro : il a des hommes et des noms ; il sera un état indépendant. Le sort a refusé aux Moldo-Valaques les chances d’une guerre nationale ou civile ; ils ont eu en 1848 une révolution trop courte pour avoir produit des hommes. Les grandes épreuves leur ont manqué. J’ajoute que les Moldo-Valaques, avec une confiance en l’Europe qui méritait d’être mieux récompensée, ont toujours attendu leur destinée des mains de la diplomatie, au lieu de se la faire à eux-mêmes. Tout le monde leur disait de craindre l’esprit révolutionnaire, qui gâterait leur cause ; ils sont restés calmes et dociles. Ils n’ont pas voulu combattre contre les Turcs, de peur de paraître Russes ; ils n’ont pas pu combattre contre les Russes, parce qu’on n’a pas voulu en faire des soldats, craignant qu’une fois armés, ils ne voulussent plus redevenir sujets. Tout les a desservis, leur sagesse, leur confiance, leur situation géographique surtout ; ils n’ont pas eu de guerre, et par conséquent ils n’ont point d’hommes.

Prenez garde, me dira-t-on, vous avez l’air de prêcher la révolution ! — Non : en Orient, il n’y a pas d’esprit révolutionnaire ; il n’y a qu’un esprit d’indépendance nationale et chrétienne. Il y a des Grecs, des Serbes, des Bulgares, des Monténégrins, des Roumains ; il n’y a pas de jacobins.

Comme la guerre dans les principautés n’a pas donné de chefs aux hommes, aux partis, aux opinions, comme il n’y a pas d’homme investi d’une grande autorité morale, la circulaire de M. le comte Walewski dit que le gouvernement français a eu recours au pouvoir d’une assemblée élective pour réformer l’administration de la Valachie et de la Moldavie. Quand même il y aurait eu en Moldavie et en Valachie un homme investi par la guerre ou par une révolution d’une grande autorité morale, je n’aurais pas été d’avis de lui confier le pouvoir absolu, indépendant du contrôle de l’assemblée élective. Les hommes importans sont nécessaires à un pays : ils le fortifient, ils y servent de centre et de noyau, ils empêchent à la fois l’éparpillement et le nivellement ; mais je ne voudrais confier à aucun d’eux la puissance souveraine. Toute force a besoin de frein. Plusieurs à côté de quelqu’un, le contrôle à côté de l’action, voilà la théorie de gouvernement qu’on a de tout temps opposée à la théorie du pouvoir absolu d’un seul, ou du pouvoir anarchique de tout le monde : Ubi non est gubernator, populus corruit ; salus autem ubi multa consilia[1]. Je sais bien qu’en parlant comme il le fait dans sa circulaire, M. le comte Walewski veut suggérer une bonne réponse à

  1. Proverbes de Salomon, chap. ii, verset 14.