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trôle sévère et efficace de ces assemblées que la France attend la réforme des abus.

Autre vérité particulière encore à la Moldavie et à la Valachie. Comme il n’y a point dans les principautés d’hommes investis d’une assez grande autorité morale pour réformer les abus, il faut charger les assemblées de cette réforme. Mais à quoi tient donc dans les principautés cette absence d’hommes investis d’une grande autorité morale, cette absence de chefs ? Elle tient à mille causes. Je sais qu’il y a des théoriciens ingénieux, et ces théoriciens sont en général les voisins de la Moldavie et de la Valachie, qui disent que la race roumaine n’est pas de nature à produire des hommes énergiques et décidés. C’est une race ingénieuse, élégante, polie dans les hautes classes, laborieuse et patiente dans les basses, éminemment propre à la civilisation, peu propre au commandement et par conséquent à l’indépendance ; les principautés ont tout ce qu’il faut pour faire des provinces excellentes, gouvernées soit par l’Autriche, soit par la Russie. Elles ne peuvent pas faire un état, parce qu’elles manquent d’hommes.

Je connais cette théorie des races qui attribue à chaque race son genre de gouvernement, décidé d’avance par la Providence, et je m’en défie, parce que j’ai remarqué que la théorie était toujours faite dans l’intérêt d’un voisin ambitieux ou du gouvernement du moment. Et d’abord, pour ne parler que de la Moldavie et de la Valachie, prenez l’histoire des principautés : est-ce que les hommes manquent ? est-ce que les Roumains n’ont pas eu leur Étienne le Grand, leur Michel le Brave, et même Wlad l’Empaleur ? Il y a dans leur histoire des guerriers intrépides, des chefs habiles, des princes sanguinaires : il faut bien citer aussi les cruels, puisqu’on refuse aux Roumains toute énergie. La race roumaine n’a cessé de produire de grands hommes que le jour où elle a perdu son indépendance. Ce n’est pas la nature qui a perdu sa fécondité et son originalité, c’est la société qui n’a plus fait leur place aux âmes énergiques et aux esprits hardis : quand le bon grain tombe sur la pierre ou sur les épines, le bon grain périt. Que pouvaient faire sous les Turcs ou sous les Fanariotes les hommes de cœur ou les hommes de génie ? Le malheur a abaissé les âmes et les esprits. L’ambition, ne pouvant plus prendre les grandes voies de la guerre ou de la liberté, a pris les voies tortueuses de l’intrigue. On dit que ce sont les grands hommes qui font l’indépendance des nations ; oui, mais c’est aussi l’indépendance des nations qui fait les grands hommes. Les deux choses se tiennent. Voyez la première race de l’Europe, la race italienne : que n’a-t-elle pas produit tant qu’elle a été indépendante ! La plus grande puissance connue sur la terre, l’empire romain ; une littérature ad-