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d’histoire, le portrait de Wellington, — une vieille cheminée où flambe un feu de houille et où chante le grillon, des fenêtres sur lesquelles une main inconnue a gravé dans l’épaisseur du verre quelques inscriptions naïves... De ces fenêtres, on découvre l’église, l’herbe sainte des morts, l’école autour de laquelle bourdonnent les enfans, le grand mai (may-pole) qui se couronne au moins une fois l’an de fleurs et de rubans. Le public-house entretient dans les villages anglais le lien de la vie sociale entre des hommes séparés les uns des autres pendant la plus grande partie du jour par les travaux et la solitude des champs. Ils s’y réunissent le soir pour causer des blés, des houblons, des courses de chevaux. Quelques jeux de hasard, mais innocens, des raffles (sortes de loteries), occupent les heures de loisir, au grand amusement de ces hommes simples et laborieux, qui ont le rire facile. La sévère uniformité des travaux rustiques les rend sensibles aux petits bonheurs de la vie. N’est-ce point à la nuit que nous devons de voir les étoiles? Un ou deux politiques de village apportent des nouvelles plus vieilles, comme dit Goldsmith, que l’ale de l’hôtesse. Cependant ce petit commerce de boisson fait vivre une famille, une veuve, dont les garçons pendant le jour vont labourer les champs. Là se célèbre la fête des moissons, avec des couronnes d’épis, des chansons et des pots de bière. Excepté pendant la nuit du samedi, la lampe s’éteint de bonne heure; mais dès l’aube retentit dans l’écurie la voix matinale du roulier qui a couché dans l’unique lit vacant de la maison, et qui fait la toilette des chevaux.

Envisagée comme branche d’industrie et comme élément inséparable des mœurs anglaises, la bière ne mérite pas moins d’attention que les intérêts d’état dont se préoccupent les historiens. Les grands événemens n’apparaissent qu’à de rares intervalles dans l’existence d’un peuple, tandis que les faits économiques se renouvellent chaque jour, embrassent toute la vie, gravent les principaux traits du caractère national, et fondent le bien-être matériel à l’aide duquel les civilisations se disputent sur terre et sur mer la couronne du monde.


ALPHONSE ESQUIROS.