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reine de Hongrie ayant cessé d’être en faveur parmi ses pratiques, il la détrôna et lui substitua l’image du roi de Prusse.

On compte dans le royaume-uni 92,065 débits de bière, parmi lesquels 39,789 ont une patente (license) qui les autorise à vendre cette boisson pour être consommée sur place, et 3,765 autres n’ont la permission de la vendre que pour être consommée au dehors. Ces chiffres proclament assez combien de tels établissemens répondent aux besoins, aux goûts et aux mœurs de la population. On étonnerait peut-être les Français en leur disant que la majorité des Anglais préfère, au moins comme boisson habituelle, la bière au vin, et plusieurs d’entre eux seraient tentés de songer en souriant à la faible du renard et des raisins. Les habitans de la Grande-Bretagne sont pourtant de très bonne foi quand ils célèbrent la boisson nationale. La bière a inspiré leurs poètes, leurs artistes, leurs grands acteurs. Ils se souviennent de la taverne où se réunissaient dans Temple-Bar Swift, Addison, Garth, Johnson. Un ouvrier anglais qui avait longtemps travaillé dans les pays vignobles me disait un jour, après m’avoir exprimé ses souffrances et ses privations : « Si John Bull oubliait la bière, il oublierait le pays; mais plutôt que d’en venir là, sa langue s’attacherait à son palais. » Les Anglais attribuent à l’usage de cette boisson les muscles de fer de la classe laborieuse qui lutte si vaillamment sur terre et sur mer, dans les fabriques et les vaisseaux, pour la puissance de la Grande-Bretagne; ils lui attribuent même leurs victoires : « La bière et le vin, s’écriait un orateur dans un meeting auquel y assistais, se sont rencontrés à Waterloo; le vin, rouge de fureur, bouillant d’enthousiasme, fou d’audace, s’est répandu par trois fois à la hauteur du coteau sur lequel se tenait un mur d’hommes inébranlables, les enfans de la bière. Vous savez l’histoire : c’est la bière qui a vaincu. » Autrefois l’Angleterre avait des vignes dont elle se vantait, comme elle se vante aujourd’hui de ses orges et de ses houblons. Du temps de Henri VIII, ces vignes entouraient le château de Windsor; mais soit que la température ait changé, soit que les chroniqueurs du temps aient doré ces grappes des couleurs de la fantaisie, les ceps ont disparu, et les Anglais s’en consolent. Hs est pourtant vrai de dire qu’ils y suppléent par les fruits du sureau, les groseilles à maquereau, appelées ici groseilles à oie (goose-berries), les cerises, le gingembre, le cassis, le panais. Les Anglais font du vin avec tout, même avec du raisin; mais ces vins indigènes, auxquels ils n’attachent d’ailleurs que peu d’importance, figurent pour une proportion insignifiante dans le chiffre de la consommation. La vraie boisson patriotique est le porter et l’ale. L’ale est, si j’ose ainsi dire, la femme du porter : on la caresse des noms