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servi à faire la bière. C’est pourtant une erreur : la drèche ne convient point aux chevaux; l’établissement la vend aux nourrisseurs, qui la donnent aux vaches, dont elle enrichit le lait[1]. Ces colosses de la race chevaline viennent en général du Lincolnshire. Leur nourriture consiste en un mélange de foin, de luzerne et d’orge. Quelques-uns d’entre eux coûtent jusqu’à 80 livres sterling. La moyenne du temps de leurs services est de six ou sept années. L’intelligence et le bon caractère de ces créatures égalent leur ardeur au travail, leur force et leur rude complaisance sous le harnais. Au moment où je visitais une de ces écuries, une jeune lady flattait de sa main délicate la tête lourde et hérissée de crins d’un de ces puissans animaux, qui semblait répondre à cet honneur avec une grâce brutale. Une des gloires de l’économie sociale en Angleterre est d’avoir créé, depuis le cheval de course maigre et efflanqué jusqu’au volumineux cheval de brasseur, différentes races du même animal qui répondent admirablement aux différentes branches du travail.

Les grandes brasseries emploient de trois cent cinquante à quatre cents ouvriers. On s’étonne, en voyant la masse des produits réalisés[2], que de tels résultats industriels puissent s’obtenir avec si peu de bras, mais il ne faut jamais perdre de vue dans le recensement des forces un ouvrier qui travaille comme mille, la vapeur. Les hommes employés dans les brasseries anglaises se distinguent par un costume particulier et traditionnel : un chapeau rond en toile cirée sur lequel glisse la pluie, une sorte de large jaquette blanche en tiretaine qui leur descend jusqu’aux genoux, un pantalon de la même couleur, de hautes guêtres boutonnées et un grand tablier. Les plus remarquables d’entre eux pour la taille, le costume et la large figure saxonne sont les draymen, qui semblent appartenir à une race éteinte de colosses. S’il faut en croire certains rapports médicaux, la santé de ces hommes ne serait pas aussi inébranlable que l’annoncent ces apparences de muscles herculéens et la riche couleur du sang. Les blessures des draymen, dit-on, guérissent lentement, et leurs maladies présentent des caractères spéciaux de gravité. Ils subissent en fait de santé les inconvéniens de l’opulence. On les choisit à la taille et pour ainsi dire au poids, comme certains cavaliers dans les corps d’élite. Il y a des brasseries qui emploient jusqu’à quatre-vingts et cent de ces puissans soldats de l’industrie, qui ont sous eux les garçons d’écurie. « En cas de guerre, me disait un des ouvriers de la maison Barclay et Perkins, nous pourrions mettre

  1. Le brasseur signe pour cela avec les laitiers des contrats qui ne sont point sans importance.
  2. La maison Barclay, Perkins et C° brasse quelquefois cent mille gallons de bière par jour.