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gent une méthode de fabrication toute particulière; c’est une erreur : la différence est dans la couleur plus ou moins brune du houblon et dans une certaine proportion de malt grillé au feu qu’on ajoute pour faire le porter. La plupart des grandes maisons brassent à la fois du porter et de l’ale; d’autres, comme celle de M. Meux, ne fabriquent que la première de ces deux boissons. On a remarqué d’ailleurs que l’on pouvait produire d’excellent ale sur une petite échelle, tandis que le bon porter ne s’obtient que dans les grandes brasseries, où l’on opère sur des masses énormes. Ces deux variétés de la même boisson ne sont pas également demandées dans le commerce, et la différence indique assez de quel côté est la préférence des Anglais. On fait généralement quatre fois plus de porter que d’ale; le porter est donc le vrai vin britannique.

Quand ils sortent des chaudières, le porter et l’ale recommencent à voyager sous l’action des pompes; mais où vont à présent ces rivières bouillantes? l’ale est envoyé d’un côté, le porter d’un autre dans des bâtimens séparés et toujours à des hauteurs considérables, car, à mesure que la bière se fait, elle monte. Il nous faut donc atteindre d’escaliers en escaliers, et pour ainsi dire d’échelles en échelles, le faîte de l’établissement : là nous nous trouverons au niveau d’une mer noire qui remplit les coolers, immenses réservoirs placés sous les toits, dans la partie la plus aérée et la mieux exposée de la brasserie. Le wort arrive à gros bouillons sur ce lit de fer ou de bois, et se répand en un lac fumant. Il s’agit maintenant de refroidir au plus vite le liquide, car, si le moût restait longtemps à l’état chaud, il menacerait de s’aigrir, et alors toute la cuvée serait perdue. La supériorité des grandes brasseries anglaises consiste donc en partie dans la construction des coolers : ayant une vaste étendue et peu de profondeur, ils se trouvent disposés de manière à réduire en un temps assez court la température du liquide à celle de l’atmosphère. Tantôt les fenêtres sont percées à jour et dégarnies, d’autres fois elles sont masquées par de grosses persiennes, dont les feuillets mobiles s’ouvrent et chassent un frais courant d’air à la surface de ces lacs, qui se distinguent par une couleur différente, suivant qu’ils sont formés de sombre porter ou d’ale aux flots ambrés. Il est curieux de voir les appareils que s’attachent aux pieds les ouvriers pour marcher dans ces bassins : figurez-vous de monumentales chaussures exhaussées et supportées par deux branches de fer, quelque chose de semblable à ce qu’un géologue anglais a cru découvrir chez certains oiseaux anté-diluviens, destinés à vivre dans les marais des anciens mondes.

Cependant le wort n’en a point fini avec la série de ses pérégrinations. Des coolers, il coule par cataractes, — mais par cataractes