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impuretés de ce fleuve concourent aux qualités généreuses de la bière en lui donnant du corps, selon l’expression consacrée. Cette opinion est fort discutable. D’abord plusieurs maisons très importantes, telles que celle de Truman, Hanbury et Buxton, ne tirent point du tout leur eau de la Tamise : elles ont un puits artésien creusé à une profondeur très considérable (sept cents pieds), et dont elles se servent pour brasser. D’autres, il est vrai, telle que celle de Barclay et Perkins, quoique ayant aussi un puits artésien dans l’établissement, font venir leur provision d’eau de la Tamise, mais elles la prennent à vingt milles de Londres. Dans ces conditions-là, l’eau du fleuve est certainement préférable à celle des puits; les Anglais, qui y mettent peut-être un peu de vanité nationale, la déclarent même la première du monde. Elle est douce et exempte des principes minéraux que contiennent, dit-on, les eaux artésiennes.

Un autre agent non moins nécessaire que l’eau à la fabrication de la bière est le feu. Toutes les grandes brasseries ont une ou deux machines à vapeur de la force de 40 à 60 chevaux. Ces machines font plus d’ouvrage que tous les hommes ensemble. La vapeur est l’âme matérielle de la maison : elle fait vivre les mécaniques, elle emplit de bruit et de mouvement les vastes salles, elle éperonne les foyers, d’où elle se reproduit elle-même comme le phénix. Son bras invisible décharge les sacs de malt amenés par les chariots; il les transporte d’un grenier à l’autre, il nettoie les tonneaux, il soulève et fait voyager à de grandes distances les fleuves de bière. Quiconque a visité ces établissemens uniques dans le monde est demeuré surpris du nombre et de la puissance des fournaises, qui brûlent toujours. Il y a souvent dans les limites de la brasserie de quatorze à seize tuyaux de brique, qui représentent une consommation de 5 à 6,000 tonnes de charbon de terre par année. Il est dès lors facile de croire que ces soupiraux chargés de suie dégorgeaient jadis dans le ciel de Londres un prodigieux nuage de fumée. Les murs de la brasserie et des maisons voisines sont là pour attester les injures qu’ils ont autrefois subies de la part des cheminées, poussant du matin au soir leurs bouffées sombres et fuligineuses. Je dis autrefois, car aujourd’hui ces cheminées ne fument plus. On se demande ce que les brasseries font en ce cas de leur fumée : elles la brûlent. Le premier établissement qui ait eu l’idée