Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mier propriétaire de la brasserie. On raconte l’avoir vu courant alors çà et là avec un encrier de corne et une plume à sa boutonnière, comme un exciseman. À ceux qui lui demandaient quelle était, selon lui, la valeur de cette propriété qu’on allait adjuger, il répondit: « Nous ne sommes pas ici pour vendre des cuivres ni des douves, mais pour vendre le moyen de devenir riche au-delà des rêves de l’avarice. » L’établissement fut alors cédé pour 135,000 livres sterling. Les ouvriers de la brasserie Barclay et Perkins montrent encore aujourd’hui un petit appartement dans lequel, s’il faut en croire la tradition, le docteur Johnson aurait écrit son Dictionnaire.

Il existait en 1856 dans la Grande-Bretagne 2,514 brasseries[1]. Ces établissemens, qui exigent le concours de sommes considérables, produisent généralement des bénéfices énormes. On parle en Écosse d’un capital qui, placé dans le commerce de la bière, s’éleva en seize années de 200,000 à 600,000 liv. sterl. L’heureux brasseur acheta dans les highlands une résidence royale, eut des chasses d’un caractère princier, des chevaux de course, et épousa une personne de famille noble. Sa fortune, réunie à celle de sa femme, lui donna un revenu de 15,000 livres sterling par an. Les brasseries des divers comtés de l’Écosse et de l’Angleterre n’offrent pourtant rien de comparable avec les brasseries de Londres. À la maison Barclay et Perkins on ne peut opposer que la maison Truman, Hanbury, Buxton et C°, située sur l’autre rive de la Tamise, dans Brick Lane. L’une nous représente l’ancien, l’autre le nouveau style. Dans l’une des cours du dernier établissement, on lit sur une pierre scellée dans le mur une inscription indiquant les limites de cet empire industriel. Somme toute, la brasserie Truman, Hanbury et Buxton est pourtant moins étendue que celle de Barclay et Perkins ; mais elle est, comme disent les Anglais, plus compacte. Ici les bâtimens s’élèvent sur les bâtimens, les machines se serrent contre les machines. Depuis ces dernières années, la maison Truman et C° figure en tête des brasseries de Londres pour le chiffre de la production. Il faut réunir et comparer dans un même tableau les traits de ces deux grandes usines, si l’on veut donner une idée de la fabrication de la bière entre les mains des Anglais, et surtout à Londres, où elle a créé une sorte d’aristocratie ouvrière. La plupart des maîtres-brasseurs de Londres appartiennent à d’anciennes familles de la Cité ; ils forment de longue date une corporation puissante, presque une dynastie, qu’on a quelquefois désignée sous le nom des douze césars de la tonne[2].

  1. Voyez Blue Books of parliamentary Reports, committees 1855-6. La statistique des années suivantes n’est pas encore publiée.
  2. Les autres principales brasseries de Londres sont celles de MM. Meux, Reid Elliot, Whitbread, Hoare, Man, Combe, Taylor, Charrington, Goding, Courage, Wood et Tubbs.