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Les propriétaires des malt-houses sont en général des gens riches et ils doivent l’être, car le fisc exige d’eux des sommes considérables et toujours prêtes[1]. Dans le comté de Norfolk, ils se livrent pour la plupart au commerce et ont des vaisseaux à eux qui transportent le grain vers les autres marchés de l’Angleterre. Ces négocians sont en même temps des fermiers sur une grande échelle. Leurs vaisseaux, partis chargés de grain, reviennent soit des ports de la Grande-Bretagne, soit des côtes du continent baignées par l’Océan germanique, avec une cargaison de houille, d’engrais ou de tourteaux pour le bétail (oil-cakes). Les propriétaires ne demeurent pas dans les malt-houses ; ils habitent de grands manoirs ou de jolies résidences situées près du théâtre de leurs affaires, entretiennent un nombreux domestique, ont des chevaux et une voiture, vont à la chasse et mènent la vie de ce qu’on appelle en Angleterre des gentlemen farmers. Les uns sont les fils de leurs œuvres, les autres succèdent à la fortune et à l’état de leurs pères. Ils descendent, dans ce dernier cas, de bonnes familles bourgeoises, bien anglaises, qui mangent religieusement des hot cross buns[2] le vendredi saint, qui garnissent les vases de la cheminée avec des noix de galle et des feuilles de chêne le 29 mai[3], qui font rôtir une oie le jour de la Saint-Michel[4], dont les filles reçoivent des valentines[5] le matin du 14 février, et dont les garçons tirent des feux d’artifices dans la nuit du 5 novembre[6]. Il n’est point nécessaire pour faire un bon maltster d’avoir reçu une éducation classique. Aussi, quand une de ces familles envoie l’un de ses fils à l’université d’Oxford ou de Cambridge, c’est qu’elle le destine à une carrière libérale, telle que la chaire ou le barreau. Les autres reçoivent

  1. Le fisc exerce sur ces établissemens une surveillance de jour et de nuit ; il assiste, dans la personne de l’exciseman (employé des accises), à l’ouverture de la citerne. Le grain est mesuré au sortir de l’eau. Le droit est exigible immédiatement. Quelques maltsters obtiennent, il est vrai, un délai de six semaines ; mais ce délai est une grâce, et pour qu’elle leur soit accordée, ils doivent fournir la garantie de gens qui les cautionnent. Il faut que ces gens soient notoirement assez riches jour payer le tout ou la différence dans le cas où le propriétaire viendrait à ne pas remplir ses engagemens.
  2. Petits pains au lait marqués d’une croix.
  3. En souvenir de la restauration du roi Charles II et du chêne sur lequel il trouva un refuge, dans le bois de Boscobel, après sa défaite à Worcester en 1651.
  4. En mémoire de la reine Élisabeth, qui était à table et qui mangeait une oie, quand elle apprit ce même jour la nouvelle d’une victoire.
  5. Sortes de billets doux anonymes.
  6. Jour de la fameuse conspiration des poudres découverte sous Jacques Ier. À chaque anniversaire, ou brûle l’effigie de Guy Fawkes, qui se trouve ainsi condamné aux flammes à perpétuité. Le nombre des masques, des mannequins brûlés, des pétards et des fusées lancées en l’air se mesure chaque année, dans les villes et les campagnes, à l’attitude plus ou moins menaçante du catholicisme.