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suffit ici d’observer que la notion de la liberté ne consiste pas dans la faculté de se déterminer sans motifs. L’être libre se détermine librement avec des motifs. Vouloir librement, c’est en général choisir entre les motifs. Assurément ces motifs ont une valeur ; ils pèsent d’un certain poids. De plus ils ont des causes, et de tous ces faits nombreux, souvent inaperçus, résulte finalement une volonté individuelle. Il peut y avoir quelque difficulté à établir démonstrativement la responsabilité morale de cette volonté devant la justice de celui qui a tout fait : là, comment ne le pas confesser ? est un mystère ; mais cette question n’a que faire ici. Il s’agit de l’histoire, il s’agit de savoir si les faits historiques sont susceptibles de se succéder suivant une certaine loi, dans le cas où l’homme jouirait du libre arbitre. Pourquoi pas ? Parce qu’il est libre, pourquoi l’homme cesserait-il d’avoir une nature constante dont les variations n’oscillent qu’entre certaines limites ? L’ordre du monde, les lois physiques qui règnent sur la terre, celles de l’organisation humaine, les traits particuliers de l’individu, les circonstances de sa naissance, de son éducation et de sa vie, constituent un ensemble de causes, et par suite de motifs, au milieu desquels il se déterminera. Les philosophes disent qu’il se déterminera librement, voilà tout. La conscience de la liberté est la liberté même, et celui qui sent qu’en faisant une chose il pourrait en faire une autre est tellement libre de la faire qu’on n’oserait parier contre lui qu’il ne la fera pas. Mais, dira-t-on, le pari même deviendra un motif déterminant auquel il cédera par force. Oui, s’il tient à gagner ; que diriez-vous pourtant, s’il aimait mieux perdre ? Certains principes d’action sont pour nous les plus généraux et les plus puissans. Nous y cédons habituellement, et si nos actions étaient fatales, il faudrait croire que nous y cédons toujours. La prévoyance toutefois serait assez souvent en défaut, car il nous arrive d’y résister. Quoi de plus commun, de plus énergique que l’amour de la vie ? Comment supposer que l’homme n’y cède pas toujours, s’il n’est pas libre ? Et cependant il n’est pas rare que l’homme expose volontairement sa vie et coure même, les yeux ouverts, à une mort certaine. Sa volonté n’est pour rien dans la sensation que lui cause la privation d’alimens. Si, dominé par la faim, il se jette sur la première nourriture qu’on lui présente, il fait un acte de volonté dont tout animal est capable ; mais s’il résiste au besoin, à l’instinct, s’il se laisse à dessein mourir de faim, c’est éminemment un acte de volonté libre, ce qui ne veut dire nullement qu’il agisse sans motifs, ni que son action soit un effet sans causes. Le choix entre les motifs est l’acte caractéristique de la liberté. Maintenant que l’homme fasse usage de sa liberté en raison de sa nature et de ses circonstances, il n’y a aucun inté-