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à la porte desquels pend alors une branche de houblon avec des fleurs, et où l’on boit au succès de la moisson : la bière sert à fêter la bière. Cependant d’autres groupes, plus sobres et plus paisibles, s’avancent à pied, mais le cœur léger, car les femmes rapportent à la maison, dans leur bourse un peu gonflée, du pain pour leur famille; les enfans, la joie d’avoir gagné leurs journées, et les jeunes filles l’espoir d’acheter une robe neuve. A mesure que les émigrans s’éloignent et rentrent dans leurs humbles foyers, commencent les inquiétudes du fermier sur la vente des houblons. « La récolte de 1858 a été trop belle, ai-je entendu dire; elle succède à plusieurs années d’une fertilité injurieuse; l’abondance nous tue. » Une conséquence de la grande production est, comme on le devine, de faire descendre les houblons sur les marchés à un prix très bas. Le commerce de cette denrée agricole constitue certainement une branche de spéculation incertaine; mais il faut souvent attribuer les pertes qui en résultent au caractère avide des spéculateurs. On cite dans le Kent un grand cultivateur de houblon qui, durant une année de disette, refusa une somme de 28 livres sterling qui lui était offerte par cent livres de cette plante. Il entassa la récolte dans ses greniers. Les années se succédèrent, et le prix des houblons descendit au lieu de monter; ce prix devint même si bas qu’un beau jour le fermier en colère tira les vieux houblons du grenier et les jeta dans une de ses cours pour servir de fumier. On a calculé que si cet homme avait vendu dans le temps sa récolte au prix qui lui était offert, il se serait assuré une somme de 17 shillings par jour pour tout le reste de sa vie. Au milieu de ce concert de plaintes que font entendre les riches fermiers du Kent contre les largesses de la nature, je fus frappé de rencontrer, il y a quelques semaines, dans les voitures du chemin de fer, un pauvre vieillard en guenilles qui revenait des environs de Maidstone. « Oh! me disait-il, combien nous devons être reconnaissans envers la Providence! l’année a été abondante en tout, en grain, en pommes de terre, en houblon. Que Dieu soit béni! » La reconnaissance de ce malheureux pour des biens auxquels il devait si peu participer avait quelque chose de simple et de touchant qui remuait le cœur.

La seconde substance qui concourt à la fabrication de la bière anglaise est l’orge, mais l’orge préparée, et qui reçoit alors le nom de malt. Les grandes brasseries de Londres ont, dans la campagne, des agens chargés d’acheter la provision d’orge et de la diriger vers des établissemens connus sous le nom de malt-houses. Ces maisons se rencontrent surtout dans les districts qu’on peut considérer comme les principaux greniers de la Grande-Bretagne, le Hertfordshire, l’Essex, le Suffolk et le Norfolk. A Ware, où je me suis arrêté