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peu près la même, et ne manque point de caractère. C’est une construction en bois flanquée de deux ou trois tourelles en briques, dont le cône allongé et recouvert de tuiles se termine par une cheminée qui fume. Au rez-de-chaussée se trouve une large provision de charbon de terre et de charbon de bois qu’on mêle dans les fours, drying-kilns. On y ajoute une certaine proportion de soufre, qui communique au houblon une couleur agréable. La chaleur monte et pénètre dans l’étage supérieur à travers un plafond de lattes à claire-voie et un tissu de crin. Cet étage supérieur, auquel on monte par un escalier en échelle, contient d’abord deux ou trois petites chambres qui sont une dépendance des fours, et où sèche le houblon, puis une grande salle appelée stowage-room, dans laquelle on dépose en deux tas d’un côté les fleurs vertes qui viennent du jardin, et de l’autre les fleurs qu’on veut faire refroidir après les avoir soumises à l’action du feu. Le sécheur doit être un ouvrier habile : une grande partie des intérêts de la récolte pèse sur lui. Après six heures de chauffage, il doit retourner à la pelle le houblon qui sèche et le retirer à la douzième heure. Le four veille jour et nuit; il doit veiller avec le four. S’il prend çà et là un instant de sommeil, c’est pour ainsi dire à la dérobée; il ne dort que d’un œil et d’une oreille, sa pensée même ne dort point. Quand on songe que les travaux du hop-drying continuent durant trois semaines, un mois, et même davantage, selon l’importance des fermes, on s’étonne que les forces humaines puissent résister à une si rude épreuve. Tous les ouvriers sécheurs que j’ai vus, quoique jeunes et robustes, avaient les traits altérés, les yeux rouges et le regard inquiet. A la privation de sommeil, à la surveillance perpétuelle qu’exige la besogne du sécheur, il faut ajouter, comme influence délétère, la forte odeur de soufre qu’on respire dans la chambre des fours. L’un de ces ouvriers, s’étant absenté un instant pour boire un verre d’ale qui lui était offert, quitta bien vite la table en disant: « Le four m’appelle. C’est un enfant terrible. A peine a-t-on le dos tourné, qu’il fait des sottises. Je suis ici, mais ma pensée est où est mon devoir[1]. » On devine que des fonctions si pénibles sont un peu mieux rétribuées que les travaux ordinaires de l’agriculture : le kiln-dryer gagne 5 shillings par jour; mais pour lui le jour a vingt-quatre heures.

Quand le houblon séché au four a reposé cinq ou six jours dans le stowage-room, il passe entre les mains d’autres ouvriers. Sur le plancher de la salle, il y a une trappe ou un trou dont la dimension est égale à celle de l’embouchure des sacs. Un homme entre dans

  1. La langue anglaise, empreinte en cela d’un haut sentiment de moralité, appelle toute fonction un devoir, duty.