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de ses houblons, — avec une courtoisie toute britannique. La politesse anglaise va droit au but. Je fus donc conduit sur les différens théâtres de travaux, à travers ces étroites allées de terre molle qu’on foule à regret, tant elles semblent faites pour les pieds des fées et des oiseaux. On était déjà en train d’abattre une partie de la forêt de perches et de houblons. Un ouvrier, qui coupait à l’aide d’une sorte de faucille le pied des vignes, m’expliqua lui-même que ce travail devait être pratiqué avec méthode : si l’on tranchait la tige trop près du sol, cela affaiblirait la racine en la faisant saigner. Il soulevait ensuite les perches enfoncées en terre avec un instrument qu’on appelle chien et qui mérite bien ce nom, si l’on regarde aux dents dont il est armé. Ces perches, couchées à terre avec la plante qui les enlaçait de festons, étaient ensuite transportées à bras ou sur chariot dans une autre division du chantier de travail où se tenaient les hop-pickers. C’est ici que la scène s’anime et présente un caractère intéressant. Il est curieux de voir à l’ombre des houblons encore debout des enfans de tout âge, quelques vieillards, deux ou trois cents femmes aux robes de diverses couleurs, rangés sur une même ligne et les mains à l’ouvrage. Toute cette population se distribue par groupes autour des bins ou cribs; on nomme ainsi une espèce de crèche en bois d’une construction grossière, soutenue par quatre pieds, et avec une toile au milieu pour recevoir la fleur mûre des houblons. Un homme couche horizontalement sur chacune des crèches deux ou trois perches revêtues de longues vignes, dont les femmes, les enfans et les jeunes filles épluchent les grappes blondes. Quelques-uns de ces groupes, composés de six, sept ou huit personnes, sont formés par les membres d’une même famille. J’ai vu plus d’une mère qui avait près de là, dans un berceau ou une petite voiture, son nouveau-né, et qui, de temps en temps, quittait l’ouvrage pour lui donner le sein. La saison du hop-picking est considérée comme une réjouissance. D’abord cette besogne n’a rien de pénible ni de répugnant, et ensuite c’est presque le seul moyen que trouve la population ouvrière des campagnes, surtout les femmes et les enfans, de gagner quelque argent à la fin de l’été. Une réunion de tant de personnes dans les grands jardins de houblon donne d’ailleurs lieu à des scènes amusantes, qui entretiennent la gaieté. Si le maître est de bonne humeur et si le temps est beau, les plaisanteries, les chants, les éclats de rire circulent à la ronde dans ces jardins où régnait hier le silence de la nature. Les Irlandaises se distinguent entre toutes par leur hilarité bruyante et leur babil intarissable. L’étranger qui visite les travaux est plus d’une fois, je l’avoue, l’objet de cette jovialité naïve et de cette raillerie qui, après tout, n’a rien d’offensant. Les joyeux propos n’empê-