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nous rendre plus accessibles à la foi dans les révélations et les prophéties aux rares époques où la tradition religieuse nous enseigne que Dieu a parlé, — c’est un motif, non pour écarter l’idée du gouvernement de la Providence d’une manière absolue, mais pour ne pas appliquer cette idée au cours ordinaire de l’histoire. Elle n’est point la clé à notre usage des événemens humains. Elle ne nous apprendra pas pourquoi l’Écosse est plus civilisée que l’Asie-Mineure, ni si le grand Frédéric sortira vainqueur de la guerre de sept ans. On peut cependant très bien bannir du champ de l’histoire proprement dite cette idée chère à l’humanité sans la frapper d’une sorte de négation directe en la renvoyant à la théologie et en déclarant stérile et stationnaire cet état de l’esprit humain qu’on nomme théologique. Luther était après tout aussi théologien pour le moins que Grégoire VII ; il croyait tout autant au gouvernement de la Providence. Cette foi pourtant n’a point pesé sur lui comme un obstacle à l’action, et quoiqu’elle contribuât à lui donner une idée fort restreinte et, suivant moi, insuffisante et fausse du libre arbitre, il n’en est pas moins un des hommes qui ont usé du leur avec le plus d’indépendance et d’audace, et son initiative se fait encore sentir par ses œuvres dans la situation générale de quelques-unes des premières sociétés du monde.

Mais ce libre arbitre lui-même, c’est une conception de la philosophie. L’homme, dit-on, la puise dans l’observation intérieure et dans l’expérience de lui-même. Et comme si cette fois l’observation et l’expérience perdaient toute leur vertu, on veut qu’une conviction à laquelle elles ont conduit soit nulle et de nul effet, puisque le témoignage de la conscience d’Arminius est démenti par celle de Calvin, puisqu’en outre l’idée d’une volonté libre est incompatible avec toute possibilité d’en prévoir les déterminations. Or, comme le propre de la science est de nous pourvoir de lois générales qui arment notre prévoyance, il n’y aurait plus, dans l’hypothèse de la liberté humaine, de science véritable de l’histoire, et la volonté jouerait en définitive le rôle du hasard. Comment néanmoins contester ce fait, que notre volonté soit généralement déterminée par des motifs, et que ces motifs tiennent nécessairement à certains antécédens, de sorte que, tout, antécédens et motifs, étant connu, les actes de la volonté pourraient être connus aussi et comme on dit à priori, proposition fondée apparemment sur cette autre qu’une connexion nécessaire enchaîne les effets aux causes ?

Nous n’en sommes pas encore à défendre la métaphysique. Sans cela, on demanderait d’où peut venir, toute métaphysique à part, ce principe fondamental de la liaison de cause et d’effet, ce principe qui, hors de la raison pure, se dissipe comme une fiction. Il