Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont il cache les cicatrices sous des pampres qui feraient envie à la vigne elle-même. Cependant la vue d’un champ de houblon (hop-field) est bien autrement imposante : ces hautes plantes, mariées à des perches dont elles atteignent le faîte, et d’où elles pendent quelquefois en vertes girandoles, ces allées étroites et mystérieuses qui s’alignent entre une double rangée de feuillage, ces fortes oppositions d’ombre et de lumière qui luttent et finissent par se confondre au pied des vignes[1] dans une sorte de clair-obscur ravissant, ces belles grappes, vertes d’abord, mais qui jaunissent en mûrissant, et qui, agitées par la brise, répandent vers le soir une forte odeur amère, tout cela donne à cette culture, et à ce qu’on pourrait appeler les vendanges saxonnes, un vif caractère de poésie rustique.

Le houblon à l’état sauvage est originaire de la Grande-Bretagne[2]. Je l’ai rencontré plus d’une fois dans les haies qui serpentent le long des lanes solitaires, sur la lisière des bois, ou même parmi les saules qui penchent au bord des rivières. Il fleurit en juin, et ses grappes mûrissent en septembre. Les pauvres gens cueillent au printemps les jeunes pousses du houblon sauvage, et les font bouillir en guise d’asperges sous le nom de hop-tops. Un fait singulier, c’est que la plante cultivée ne descend point en Angleterre, comme on serait porté à le croire, de la plante indigène. Un ancien distique anglais veut que le dindon, la carpe et le houblon soient venus la même année dans la Grande-Bretagne[3]. Il faut entendre par là le houblon perfectionné par l’art. Ce dernier fut en effet importé des Pays-Bas vers le règne de Henri VIII. Cette culture, une fois introduite, se développa, mais lentement. Comme toutes les innovations, elle avait trouvé des adversaires. Des pétitions furent adressées plus d’une fois aux rois et au parlement d’Angleterre contre cette plante étrangère, qu’on accusait de toute sorte de méchancetés, wicked weed. Le parlement tint bon, et se montra plus sage que la nation elle-même en refusant de sévir contre une branche de culture qui fournit aujourd’hui à l’état des revenus considérables, tout en accroissant la prospérité individuelle et le bien-être des classes ouvrières Le nombre d’acres de terre consacrées en 1855 à la culture du houblon était de 67,757 1/2. </ref>.

La grande migration des hop-pickers, que nous avons vue s’avancer par toutes les routes dans l’intérieur du Kent, ne s’arrête point

  1. C’est le nom qu’on donne aux jets du houblon, vines.
  2. Le nom latin de cette plante, humulus, est formé de humus (terre fraîche), le houblon ne croissant que dans un sol riche et humide. Le nom anglais hop semble provenir du mot anglo-saxon hoppan, grimper.
  3. Ce distique, devenu proverbial, est cité dans Baker’s Chronicle.