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quer d’exercer quelque influence sur la vie anglaise. A la fabrication, à la consommation de cette liqueur se rattache tout un groupe d’industries rurales et urbaines, qui, étudiées sur les divers théâtres de leur activité, depuis les houblonnières jusqu’aux brasseries et aux tavernes, nous révéleront quelques-uns des aspects les plus caractéristiques de la civilisation anglo-saxonne.


I.

De par ordre du parlement, la bière anglaise ne peut être faite qu’avec de l’orge et du houblon. Il faut donc s’occuper d’abord de ce dernier produit agricole. La récolte des houblons commence, selon les années, à la fin d’août ou au commencement de septembre. Les routes du Kent, du Sussex et du Surrey, — les trois comtés de l’Angleterre qui se partagent plus ou moins cette culture, — se couvrent alors d’une multitude de piétons qui se rendent aux hop-gardens (jardins de houblons). Des groupes de femmes, d’enfans, de vieillards, quelquefois des familles isolées, s’avancent d’un pas inégal, non sans charmer la longueur du chemin par des chansons et des saillies. C’est de distance en distance un spectacle animé et pittoresque qu’on chercherait en vain dans les autres saisons de l’année. Quelques-uns de ces groupes voyageurs viennent de loin; on distingue dans le nombre des familles du pays de Galles et surtout des femmes irlandaises qui se font remarquer à leur accent, à leur désinvolture, à leur gaieté bruyante et trop souvent, il faut le dire, à leurs pieds nus. Ce dénûment contraste avec le chapeau de lady plus ou moins fané qu’elles ont sur la tête, et qu’elles ajustent avec un air de coquetterie, de façon que cette coiffure retombe sur les yeux pour les préserver sans doute des rayons du soleil. Hommes et femmes portent généralement sur leur dos quelques bagages, et de temps en temps avec les bagages un objet plus cher, un enfant. La cueillette des houblons (hop-picking) est considérée par la classe malheureuse comme le grand jubilé rural. À cette époque de l’année, le vagabond secoue sa paresse, l’étameur ambulant éteint son fourneau, le mendiant cesse de tendre la main, le ménestrel quitte son violon, le garçon laboureur dit pour quelque temps adieu à la charrue ; tous vont à la fête des houblons. Là se rencontrent le pauvre en habits décens et le pauvre en guenilles, l’ouvrier à figure ouverte et l’aventurier à la mine peu rassurante, l’honnête homme et le voleur; seulement ce dernier ne vole plus, il travaille. Parmi les femmes, ce sont les mêmes contrastes : la misère sordide et la misère coquette, l’adolescence et la vieillesse, la vertu et le vice, mais le vice sanctifié main-