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j’écrirai ou je dormirai si l’envie m’en vient. Ainsi bonne nuit, et à demain !

— Bonne nuit à tous deux ! dit-elle.

Et elle alla s’étendre sur le divan qui lui sert de lit. C’est une sorte d’estrade en maçonnerie, dallée et lambrissée de faïences. La garniture se compose de trois ou quatre épaisseurs de djerbi, d’un matelas de soie piquée, de coussinets pour appuyer les plis du corps, et d’oreillers de satin pour soutenir la tète. Haoûa s’y coucha tout habillée, suivant l’usage arabe, et ne tarda pas à s’endormir.

Il n’y avait plus aucun mouvement ni dans la rue ni dans la maison. Les Juifs du rez-de-chaussée s’étaient enfermés de bonne heure, n’ayant pas d’autres moyens d’empêcher l’eau de pénétrer dans leur logis que d’en barricader, puis d’en calfater l’unique ouverture. Les enfans ne criaient plus. La nuit tout entière était remplie par le ruissellement continu de la pluie, qui rejaillissait des terrasses et tombait dans la cour inondée comme dans un étang. Je descendis afin de barrer la porte extérieure, qui n’avait été que poussée, et je mis l’arc-boutant. Quand je passai devant la chambre où la négresse était couchée près de son mari, j’entendis le nègre Saïd, qui ronflait comme un lion qui dort, et la voix d’Assra, qui fredonnait avec douceur un air africain pour encourager le sommeil de son enfant.

Vandell avait renouvelé les bougies, déplié des cartes manuscrites dont il porte toujours, comme un en-cas, deux ou trois rouleaux dans ses poches, et s’était mis à déterminer l’itinéraire de ses prochains voyages. Il me prêta son livre de notes, livre un peu hiéroglyphique comme l’auteur lui-même, et je lus tant bien que mal sa récente excursion du sud dans l’est du Sahara algérien. Nous passâmes ainsi cette nuit pluvieuse, lui projetant de nouvelles aventures, moi réfléchissant au peu que j’ai vu, et n’osant pas rêver à des expéditions qui me sont interdites.

Je ne suis pas un voyageur, mon ami, je te l’ai déjà dit et plus d’une fois ; tout au plus suis-je un homme errant. Mes voyages, si j’en faisais, ne serviraient pas même à donner à d’autres la curiosité de les refaire après moi. Je battrais vainement les chemins du monde : la géographie, l’histoire et la science n’en obtiendraient pas un renseignement qui fût nouveau. Souvent le souvenir que je garde des choses est inénarrable, car, quoique très fidèle, il n’a jamais la certitude, admissible pour tous, d’un document. Plus il s’affaiblit d’ailleurs, plus il se transforme en devenant la propriété de ma mémoire, et mieux il vaut pour l’emploi qu’à tort ou à raison je lui destine. À mesure que la forme exacte s’altère, il en vient une