Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et qu’as-tu fait, demandai-je, de ton second mari ? Elle hésita d’abord, devint pâle autant que peut pâlir un visage qui jamais n’a l’ombre de couleur, et répondit en nous regardant fixement l’un après l’autre : Je l’ai quitté.

— Après tout, dit Vandell en manière de conclusion, tu as bien fait, s’il t’ennuyait.

Ce soir-là même, Vandell allait aux renseignemens chez Hassan, et il apprenait qu’en effet Haoûa était veuve d’un premier mari, et qu’elle avait divorcé six mois après son second mariage ; mais Hassan n’en dit pas davantage, et je ne sais pourquoi parut tenir à ne nommer aucun des deux personnages qui ont fait, l’un la fortune, et l’autre le malheur d’Haoûa. Haoûa est Arabe. Elle est née dans la plaine. Si les informations sont exactes, son père appartenait aux Arib, une famille d’origine saharienne établie dans la Mitidja, qui l’habita sans existence légale, y vivant dispersée dans les tribus et maraudant sur toutes jusqu’en 1834, époque où l’administration la réunit pour en faire une auxiliaire et comme une sentinelle avancée de la France. Haoûa conserve donc un peu de sang saharien dans les veines, et son teint plus fauve, son œil plus sombre, sinon plus ardent, la juvénilité singulière de ses formes, que l’embonpoint commun chez les Mauresques n’épaissira pas, concordent exactement avec ses origines. Par ses alliances, nous supposons qu’elle doit tenir soit aux Beni-Khrelil, soit plus probablement aux Hadjout. Au reste ce sont des éclaircissemens qui regarderaient l’état civil, s’il en existait un chez les Arabes, et non pas nous. Depuis lors, il n’a plus été question de ce que le hasard nous avait révélé de la vie antérieure d’Haoûa, et nous ne nous souvenons plus de son divorce que pour en conclure qu’elle est libre, et qu’ainsi les assiduités de ses deux nouveaux amis ne sauraient causer d’ombrage légitime à personne.

La maison, très bruyante au rez-de-chaussée, surtout si quelque différend de voisinage éclate entre les Juives, est on ne peut plus paisible à l’étage où la silencieuse Haoûa habite seule, et dont elle occupe la galerie avec Assra la négresse et le mari d’Assra, qui vient y passer la nuit. À quelque moment que ce soit de la journée, excepté aux heures du bain, nous la trouvons là, dans un angle obscur de sa chambre, assise ou couchée sur son divan, se teignant les yeux, jouant avec un miroir, fumant le tombak, couverte de guirlandes fleuries comme une madone, les bras aussi froids que le marbre, l’œil admirable et vague, inerte et comme épuisée par l’oisiveté mortelle de sa vie : personne autour d’elle, ni famille ni enfans. Exemple singulier de beauté presque accomplie et stérile, elle vit, si cela peut s’appeler vivre, pour je ne sais quelle desfnée incompréhensible qui semble l’empêcher d’être épouse et la con-