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de tombeaux. Trois ou quatre seulement forment de petits monumens semblables à des marabouts de quatre ou cinq pieds de baut, avec un couronnement dentelé et la kouba conique. Telle est la sépulture ordinaire des personnages religieux ou célèbres à quelques titres.

Une vieille femme gardait le cimetière, accroupie sur le revers d’une tombe, la tête inclinée sur ses genoux. Elle avait un sarrau rayé de bleu, de jaune vif et de rouge éclatant, mal attacbé sur ses épaules. Les bras et les pieds nus, la tête entourée d’un fichu noir, et le visage à moilié caché par des cheveux tout grisonnans, elle tenait à la main, comme un emblème de toutes les fragilités humaines, une longue et mince baguette en roseau.

— Salut sur toi, ô mère ! lui dit Vandell. Que ta journée soit bonne !

— Qu’y a-t-il, et que viens-tu faire ? demanda la vieille avec un peu d’alarme en nous voyant tout à coup dans l’enceinte réservée. Nous répondîmes : — Rien que le bien. — Et nous nous assîmes sur une des barrières.

Une bougie rose brûlait dans le creux d’un arbre renversé vers le milieu du cimetière. La face des quatre marabouts qui regarde le levant était inondée de cire fondue, et dans une sorte de niche, creusée dans la paroi du plus orné et du plus ancien des quatre, brûlait une autre mèche odorante dont on voyait seulement la fumée.

— Savez-vous ce que c’était que ces gens-là, demandai-je à Vandell, vous qui savez tout ?

— Des hommes, me répondit Vandell un peu sentencieusement. Si vous y teniez, je vous dirais leurs noms et leur légende plutôt que leur histoire ; mais à quoi bon ? Ils ont fait leur temps : ils habitaient un pays qui n’est pas le vôtre, et parlaient une langue que vous entendez à peine. S’ils ont fait du bien ou du mal, cela ne nous regarde pas, et nous n’avons pas même le droit d’allumer une bougie rose en leur honneur.

Au moment où nous repassions la barrière, un Arabe qui venait d’entrer dans l’enceinte alla dévotement baiser la tombe du saint, et se mit à genoux dans l’herbe pour faire sa troisième prière, car il était une heure après midi.

À quelques pas en arrière du cimetière se cache un village, ancien séjour de l’aristocratie de Blidah. Incendié et pillé en 1836, pillé encore en 1840, aujourd’hui il est réduit à une quinzaine de masures, dont une seule couverte en tuiles, le reste en pisé avec la toiture en roseaux. Des chiens en gardaient l’entrée, et nous aboyaient aux jambes ; des enfans criaient comme s’il se fût agi d’un nouveau siége.